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prétendent conduire. Plus ils seraient doux de cœur et étrangers à l’esprit de domination, plus leur volonté sera inflexible à exiger le seul bien qu’ils attendent du monde : le respect de leur foi. Offensés par les doctrines de l’état, menacés par ses actes, contraints à contribuer par l’impôt à l’impiété publique et obligés de subvenir par des dons aux dépenses de leur culte, traversés dans cet effort même, atteints sans cesse et à la fois dans leur croyance, leur honneur, leur repos, leur fortune, ils vivront enfermés dans les lois comme dans ces cages de fer que Louis XI avait inventées pour ses ennemis. Tout mouvement leur sera une souffrance; mais la perpétuelle nouveauté de ces souffrances empêchera que le sommeil de la résignation les assoupisse, et la douleur qui veille cherche ses causes. Chaque humiliation, chaque sacrifice, fera remonter leur pensée vers la source de leur mal. Ils songeront que, sous tous les gouvernemens, un seul excepté, ils ont joui de la paix, que leurs difficultés sont nées, ont grandi avec une faction et disparaîtraient avec elle. La haine attire la haine : ils en viendront à souhaiter, d’un désir violent comme la situation où ils se trouvent, que la fin du régime amène la délivrance de l’épreuve. Leur zèle pour l’église se transformera en colère contre l’état.

Ainsi, dans l’étrange confusion qui suivra la rupture, tout le monde sera jeté hors de sa place, et la séparation entre l’état et l’église inaugurera une guerre où la puissance politique aura pour but de ruiner la croyance religieuse, où la société religieuse s’efforcera de détruire le pouvoir politique.


III.

Cette guerre sera-t-elle plus funeste à l’église ou à l’état?

Il est trop vite fait de dire que la force ne peut rien contre les idées. Si cette doctrine était exacte, la tyrannie ne compterait pas de victoires. Les faits sont moins consolans. Ils montrent dans la force une légitimité mystérieuse qui parfois dompte les intelligences et les volontés. On a vu dans tout le cours de l’histoire les traditions, l’indépendance, la patrie même peu à peu effacées et leur souvenir même aboli par la contrainte. on a vu, comme une flamme monte ou s’abaisse selon la quantité d’air qui l’alimente, les doctrines les plus diverses s’élever et s’éteindre selon la liberté que leur laissait le pouvoir. Les amis de la séparation supposent qu’il en est ainsi du sentiment religieux. Mais en cela, à leur tour, ils concluent trop tôt. Il y a entre les libertés religieuses et toutes les autres une différence fondamentale : faute de la connaître, on n’a qu’une théorie incomplète sur l’emploi de la force à la destruction des idées.