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comme le zèle et fugitives comme la vie. Mais c’est le mérite souverain de la séparation qu’elle tienne sans cesse l’église à la merci de fidèles, et la piété des morts n’a pas à perpétuer un culte que ne soutiendrait pas la piété des vivans.

Les catholiques du moins exerceront-ils sans obstacle ces droits individuels qu’on déclare sacrés[1] ? Leur sera-t-il permis de se réunir dans le secret de leurs demeures autour de leurs prêtres et de rassembler chaque jour l’aumône à laquelle sera réduit un culte mendiant? A l’heure présente, célébrer les cérémonies religieuses dans une chapelle même privée est défendu par une loi[2], se réunir à des intervalles réguliers ou non pour s’occuper d’objets religieux, même dans une maison particulière, même entre amis, toujours les mêmes, est défendu par une loi[3]. Le concordat abrogé, vingt et un catholiques ne pourraient sans délit prier en commun. Ces lois sont-elles de ces textes morts que le passé a légués au présent, mais que la loyauté du pouvoir se refuserait à invoquer? Hier des gendarmes escortés par la police et conduits par un sous-préfet enfonçaient les portes d’une demeure close, faisaient feu sur les habitans, blessaient ou tuaient plusieurs personnes. Quel était le crime des coupables ? D’entendre la messe dans une chapelle sans l’aveu du gouvernement. Quels ont été, au milieu du scandale public, les approbateurs les plus déterminés de cet acte sauvage? Les partisans de la séparation. Pour la liberté de s’associer, réclamée sous tous les régimes avec une impatience indignée par le parti démocratique, elle a disparu des programmes le jour où ce parti a réclamé la rupture entre l’église et l’état. Il y a six ans, on a chassé de leurs demeures les religieux. De quel délit étaient-ils accusés? De vivre réunis sous une règle religieuse. Qu’ont fait alors les partisans de la séparation? Sommé le gouvernement d’appliquer les lois existantes. On a proclamé que le droit d’association ne luira jamais sur tout le monde : fait pour accroître par leur union la force des individus, il n’est pas destiné à ceux qui abdiquent leur personnalité dans une soumission sans limite et vouent cette obéissance à un chef étranger[4]. Pour préparer la séparation, le plus urgent n’est

  1. Rapport de M. Paul Bert, p. 48 : « Les fidèles de l’église catholique auront-ils le droit de se réunir comme bon leur semblera, leurs ministres celui d’enseigner et de prêcher sans autres restrictions que celles qui sont imposées à tous les citoyens?.. Aucun membre de la commission ne s’est fait l’interprète de cette thèse logique. »
  2. Art. 44 de la loi du 26 messidor an IX.
  3. Art. 261 du code pénal.
  4. M. Madier de Montjau, discours du 7 juillet 1879 : « Au lieu d’être le développement de l’homme par l’union libre, la congrégation est l’anéantissement de l’homme par l’asservissement de tous à un ou à quelques-unes, l’exploitation de la masse par une autocratie ou une aristocratie concentrée... Vœu de chasteté, vœu négatif de la sociabilité même ; vœu de pauvreté et vœu d’obéissance, atteintes flagrantes au bonheur, à la liberté, à la dignité de l’homme, tous vous êtes autant de coups portés à sa vie, à ses droits... »