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l’intelligence de la liberté. La France est à la fois le pays où l’état a le moins de prétextes pour retirer au catholicisme son appui, et les catholiques le moins de ressources pour se passer de l’état. Les causes qui justifient, ailleurs, la séparation, n’existent pas ici.

Que veulent donc en France les partisans de cette mesure? Sont-ils des politiques résolus à poursuivre, dans les rapports entre l’église et l’état, l’application d’une réforme générale qui dépouille le pouvoir de ses attributs excessifs, accroisse les prérogatives des citoyens, contraigne les Français à défendre leurs intérêts, à exercer leurs droits, à vivre, enfin ? Toute leur activité s’emploie, au contraire, à accroître les droits de l’état. Ils le substituent à toutes les autorités, aux communes, aux familles, aux individus ; ils lui livrent, non-seulement les intérêts généraux, mais les particuliers; ils entendent qu’il intervienne dans les conflits entre les ouvriers et les patrons, qu’il fixe le temps du travail, le taux des salaires, ils le proclament maître, non-seulement des intérêts matériels, mais de la morale, de la philosophie ; ils préparent le jour où il envahira la conscience elle-même par le monopole de l’enseignement. Ils ont recueilli l’ancienne dictature comme un héritage qu’ils augmentent, et la dictature, au service de la démocratie, a pour terme fatal le socialisme, c’est-à-dire un régime où chaque homme devient l’esclave de tous. De tels politiques sont les derniers que troublerait un scrupule sur les usurpations du pouvoir, et il y aurait une étrange contradiction, de leur part, à proclamer, en matière religieuse, l’incompétence de l’état.

Sont-ils des philosophes indifférens envers tous les cultes, et résolus à faire passer cette indifférence dans la loi? Les connaître si mal serait les offenser. Ils tiennent la religion funeste à la république, dégradante pour l’espèce humaine. Ils haïssent l’église. Cette haine est leur foi, leur vertu, leur plaisir, leur gloire, leur profession, le titre unique de la plupart au mandat qu’ils ont reçu.

La haine n’étouffe pas toujours la justice. Cette justice vit-elle dans leurs desseins, imposent-ils silence à leurs passions pour se souvenir qu’au pouvoir ils ne représentent pas eux seuls, et, s’il leur répugne de demeurer protecteurs d’un culte condamné par leur raison, préparent-ils un régime loyal où l’église n’ait pas plus à craindre qu’à espérer du gouvernement? La grande vertu de la réforme à leurs yeux est de tourner contre la religion la force du pouvoir. Dans un pays où tous les intérêts publics sont confiés à l’état, la suppression de tout rapport entre l’état et les églises doit attester à tous que le maintien de la religion n’est pas un intérêt public. Les catholiques demeureront accablés par le poids tout à coup tombé sur leurs épaules, et leur zèle inexpérimenté succombera à la tâche