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et les conquêtes toutes nouvelles de la libre pensée réduisent sans cesse le troupeau fidèle à l’église anglicane. Elle a déjà perdu la majorité dans l’Ecosse, le pays de Galles, et c’est une question de savoir si elle la possède encore dans le reste de l’Angleterre. Question si souvent agitée devant le peuple qu’elle agite le peuple à son tour, et que le disestablishment de l’église anglicane est devenu la plate-forme des élections générales en 1885. Ni les candidats ni les sociétés puissantes qui soutenaient la réforme ne l’ont réclamée en déniant à l’état le droit de favoriser un culte ; ils ont dénié à un culte suspect de n’avoir plus d’autorité sur la moitié des citoyens le droit de garder le caractère d’une institution d’état. Ils songeaient si peu à décréter l’indifférence religieuse que ces séparatistes promettaient de maintenir la lecture de la Bible dans les écoles, le serment religieux dans les cours de justice, les prières publiques dans les usages, l’obligation du repos dominical dans les lois. Ils avaient si peu de tiédeur pour l’église même dont ils détruisaient le privilège qu’ils proposaient de lui abandonner tous les édifices du culte et de lui constituer en dotation un minimum de quinze cents millions. Enfin si le vote du pays fut défavorable à ces mesures, c’est par crainte de ne pas donner des sûretés suffisantes à cette église. Le jour où cette crainte aura disparu, la séparation sera faite.

Ce ne sont pas seulement les nations protestantes qui vivent sous ce régime. Dans un pays catholique il existe, fondé par le parti catholique. La plus factice des créations improvisées par les traités de 1815 fut le royaume des Pays-Bas. Sous ce nom, l’Europe avait confondu deux peuples inégaux par le nombre, séparés par la race, la langue, l’histoire et la religion. L’égalité de droits leur était promise, mais les Belges pénétraient en nouveau-venus dans une nation ancienne; la famille royale, qui entre les deux peuples aurait dû servir d’arbitre, appartenait par le sang et la gloire à la Hollande ; il était inévitable que la Hollande dominât la Belgique. Du premier jour, les partis se trouvèrent formés par les races. Pour garder la prééminence, les Hollandais, maîtres du pouvoir, employèrent la force de l’état à soutenir leur langue et leur religion, c’est-à-dire les principaux élémens de leur nationalité, contre la religion et la langue de la nationalité rivale. Durant quinze années, les Belges, à leur tour, s’accoutumèrent à ne voir dans l’état qu’un ennemi et à ne compter pour la défense de leur droit que sur eux-mêmes. Quand la révolution de 1830 leur donna un gouvernement national, les catholiques, adversaires les plus constans de la Hollande, devenaient les chefs des vainqueurs. Leur âme ne changea pas avec la fortune. Cette fortune même attestait quelle puissance la religion, sans l’aide et malgré l’effort de l’autorité publique, peut atteindre