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le sort lui imposait ce double devoir, elle s’est senti entraîner vers un autre par une vocation imprévue et toute-puissante. Elle a mis son patriotisme et sa démocratie à changer les rapports de l’église et de l’état.

Ces rapports étaient, depuis le commencement du siècle, fixés par le concordat, et le concordat était fait de deux idées. L’état avait considéré que l’église est, par son but, utile à la société, et que l’église peut, par son action, devenir incommode aux gouvernemens. D’une part, il lui assurait des avantages, l’existence publique du culte, un clergé et un budget ; d’autre part, il prenait contre elle des garanties, lui refusait le droit de posséder, de nommer aux dignités ecclésiastiques et, sous prétexte de police, s’était réservé le moyen d’exercer sur elle une surveillance arbitraire. Sous les régimes les plus divers, ce contrat avait été maintenu et avait maintenu la paix. A l’avènement des républicains, la paix est devenue suspecte. Au concordat a été opposée la séparation entre l’église et l’état. Cette réforme, d’abord demandée par quelques-uns, a vu croître sans cesse le nombre de ses adhérens ; elle a aujourd’hui la majorité dans les commissions parlementaires, elle peut avoir demain la majorité dans la chambre et quand la chambre veut, l’indépendance du sénat n’est plus, on le sait, que de la lenteur à obéir. Il est donc temps de savoir quel but la réforme poursuit et quels résultats la suivront.


I.

Il y a une théorie classique de la séparation : elle règne dans les livres et dans les discours. A les croire, tout régime a des institutions nécessaires. Sous l’ancien régime, l’autorité religieuse sacrait le pouvoir politique, et le pouvoir politique maintenait l’unité des croyances religieuses : de cette alliance entre la royauté et l’église était née la religion d’état. Mais la conquête la plus précieuse du monde moderne est d’avoir enlevé à l’état et restitué à la raison de chacun le droit de fixer ce que l’homme doit penser ou croire. Dans cette société nouvelle, toute mesure prise par l’autorité publique, soit pour favoriser, soit pour restreindre l’empire que l’église doit obtenir par la libre adhésion des fidèles est un excès de pouvoir. Le concordat assure la vie de l’église et limite sa puissance : mélange de privilège et de servitude, il est une double usurpation. De toute usurpation naît un avenir de guerre, et, comme l’un et l’autre contractant estime peu ce qu’il obtient, beaucoup ce qu’il concède et se croit dupe, le traité fait pour cimenter l’union se rompt dans la haine. L’ordre violé par cet échange de sacrifices où l’état et l’église se donnent chacun ce qui ne leur appartient pas.