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esprits reculent jusqu’à la dernière extrémité, que les nations, les gouvernemens eux-mêmes soient aussi impatiens que ceux qui les poussent si légèrement au combat?

On n’en est heureusement pas là entre la France et l’Allemagne. Il ne s’agit pas, bien entendu, de savoir ce qui arriverait le jour où l’un des deux peuples se sentirait atteint dans sa dignité ou dans son indépendance. Personne n’ignore que, ce jour-là, les armées seraient prêtes comme les courages, que le choc serait inévitable et certainement redoutable. C’est un cas extrême et désespéré qui ne s’est pas produit récemment que nous sachions. La vérité est, jusque-là, à voir froidement ces choses, que la guerre n’est ni dans la situation, ni dans les intérêts, ni dans la volonté des deux nations, qu’on représente toujours comme prêtes à s’entre-choquer. La France, pour sa part, ne désire sûrement pas la guerre, elle ne fera rien pour la provoquer, et ce serait une étrange méprise d’aller chercher les signes des passions belliqueuses du pays dans les saillies d’un patriotisme bruyant ou dans quelques paroles imprudentes, fût-ce les paroles d’un ministre. La France a sans doute ses souvenirs comme elle peut garder sa foi dans ses destinées; elle perdrait sa dignité de grande nation si elle cessait d’éprouver ces sentimens, si elle n’avait la constante préoccupation de proportionner ses forces à sa position dans le monde, si elle ne mettait sa fierté à avoir une armée digne d’elle. Au fond, pour le moment, elle a un immense besoin de la paix, qu’elle veut sans défaillance, cela va sans dire, mais qu’elle souhaite sans déguisement, sans affectation; elle la désire par raison, par l’instinct d’une nation laborieuse. Le dernier président du conseil, avant de tomber, traçait, il y a quelques semaines, le programme de tous les travaux qui resteraient à réaliser dans l’intérêt du pays et de la république, qu’il n’oubliait pas. Il aurait pu ajouter à ce programme une autre partie essentielle qui consisterait précisément à refaire aujourd’hui un gouvernement, à reconstituer une force de direction, à relever les finances, sans lesquelles on ne tente pas les grandes entreprises, à réparer tout ce qu’une politique d’imprévoyance a ruiné ou compromis. C’est essentiellement une œuvre de paix, — et voilà pourquoi la France n’appelle sûrement pas la guerre, ne peut pas songer à la provoquer; elle peut y être forcée, elle n’y est entraînée ni par une passion publique ni par ses intérêts.

Serait-ce que l’Allemagne, de son côté, appellerait la guerre plus que la France et serait plus qu’elle impatiente de se jeter dans une de ces aventures dont on peut toujours dire qu’on sait comment elles commencent, qu’on ne sait pas comment elles finissent? On peut invoquer sans doute, et cette hâte que le gouvernement de Berlin met à augmenter ses armemens et les discours de M. de Moltke et les demi-révélations du ministre de la guerre et cette forfanterie de victorieux qui, au-delà du Rhin, prend toujours un certain ton de brutalité menaçante.