Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/234

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toutes les idées sont altérées. On ne peut se faire illusion, l’éducation politique n’est pas précisément en progrès, et les républicains y ont certes singulièrement contribué. Depuis qu’ils sont au pouvoir, ils semblent n’avoir eu d’autre préoccupation que d’organiser leur règne, un règne exclusif et jaloux. Ils ont trouvé tout simple de s’approprier les moyens discrétionnaires les plus discrédités, de remettre en honneur l’arbitraire administratif et la raison d’état, de disposer des ressources publiques sans tenir compte des garanties et des règles les plus invariables de l’ordre financier. Ils ont avoué, ils avouent encore cette arrogante pensée de « refaire l’âme de la France, » au mépris des droits des familles et des libertés municipales. Ils n’ont pas vu qu’avec ces procédés et ces abus de domination, avec ces tyrannies à l’égard des minorités et ces dédains du droit, des garanties publiques, on prépare quelquefois les dictatures, on ne fait pas des gouvernemens. On finit, au contraire, par rendre tout impossible, ou, si l’on veut, tout possible, excepté un gouvernement sérieux fait pour relever la confiance du pays. C’est justement ce qui arrive aujourd’hui sous ce ministère qui vient de naître ou de renaître, qui, à parler franchement, ne représente rien, si ce n’est peut-être une trêve de quelques jours dans une crise indéfinie. C’est le résultat d’une série de déviations dans notre vie publique, et si cette année finit assez tristement pour nos affaires intérieures, on ne peut pas dire qu’elle finisse d’une manière bien plus favorable pour les rapports généraux des peuples, sans en excepter la France, pour l’Europe, récemment réveillée en sursaut par toute sorte de mauvais bruits, agitée tout à coup de vagues inquiétudes comme si elle avait été à la veille de nouveaux conflits.

A quoi attribuer cette épidémie de rumeurs et d’alarmes qui a un instant gagné presque tous les pays? Dans quelle mesure cette crise a-t-elle pu être sérieuse? Quelle est la part des exagérations irréfléchies, des excitations factices? C’est bien assez des dangers qui peuvent être réels sans y ajouter à tout propos les rêves d’imaginations effarées. Qu’il y ait en Europe des difficultés, des antagonismes, des causes intimes et profondes de malaise, on le sait bien. Sans doute il y a toujours l’Orient, où s’est allumé plus d’un conflit; il y a cette éternelle affaire bulgare qui a remis en présence quelques-unes des principales puissances, la Russie, l’Autriche, l’Angleterre, et les délégués du petit état des Balkans qui ont été envoyés en Europe à la recherche d’un dénoûment, c’est-à-dire d’un prince, ne paraissent pas jusqu’ici avoir trouvé le moyen de tout concilier en apaisant le tsar : la question reste encore en suspens. Sans doute aussi, au centre du continent, il y a entre deux grandes nations comme la France et l’Allemagne des relations qui peuvent être délicates, qu’un incident imprévu peut toujours envenimer ou aggraver. S’ensuit-il qu’à tout instant on soit à la veille d’un de ces chocs redoutables devant lesquels les plus fermes