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tactiques équivoques, à quoi ce savant équilibriste a-t-il réussi? Il a duré moins d’un an ! Il a tout livré, tout épuisé, pour tomber bientôt dans une échauffourée vulgaire à propos de quelques sous-préfets, laissant après lui quelques violences de plus, la prétendue majorité républicaine plus incohérente que jamais, le gouvernement plus affaibli et plus difficile à reconstituer.

Un autre cabinet s’est formé pour prendre la suite des affaires de M. Freycinet, et que représente-t-il ? Qu’est-ce que ce ministère péniblement rajusté pour la circonstance, pour une fin d’année? C’est bien encore évidemment la même politique, puisque c’est le ministre de l’instruction publique qui est devenu le nouveau président du conseil et qu’il n’y a que deux ou trois changemens parmi les autres ministres... Seulement, c’est le dernier ministère diminué, reprenant ou continuant la même politique dans des conditions plus altérées, après une série d’échecs devant le parlement. Que fera-t-il dans cette situation certainement assez bizarre ? Le nouveau président du conseil, à la vérité, ne paraît pas décidé à se montrer bien entreprenant et n’a que des prétentions conformes à sa position. Il ne fera rien ou il fera le moins possible. Il ne proposera que ce que lui dictera la majorité, il attendra que la majorité ait une opinion et se prononce sur les réformes qu’elle désire. — Mais, «c’est le contraire de l’idéal parlementaire!» a dit justement M. Léon Say à M. le président du conseil. C’est, en effet, le régime parlementaire complètement dénaturé par la confusion de tous les rôles. Le gouvernement, pour prendre une initiative, attend que la majorité déclare ses volontés; la majorité, pour se constituer, attend que le gouvernement lui donne une impulsion et une direction. « c’est un cercle vicieux ! » comme on l’a dit encore. Nous voilà bien avancés ! Voilà des institutions parlementaires bien entendues, utilement pratiquées et un ministère vraisemblablement promis à une longue vie ! Heureusement, pour tout guérir, pour remettre l’ordre partout, M. le président du conseil a trouvé ou est peut-être obligé de subir un collègue plus entreprenant, un ministre de la guerre qui paraît assez disposé, quant à lui, à avoir une opinion sur tout ce qu’on voudra, sur la diplomatie aussi bien que sur les affaires militaires, même au besoin, sans doute, sur la manière de conduire un parlement. En réalité, c’est M. le ministre de la guerre qui est le vrai et imperturbable président du conseil, le leader du jour, — et ce n’est pas le trait le moins caractéristique de cette ère où nous entrons.

Au fond, ce qu’il y a de malheureusement trop clair, c’est qu’à force d’abuser de tout, on finit par tout confondre, par n’avoir plus même une idée des plus simples conditions de gouvernement, pas plus qu’on n’a le sentiment des plus simples garanties libérales. On parlait l’autre jour devant le sénat d’une altération des mœurs parlementaires qui rend tout impossible. Assurément, ces mœurs sont altérées, comme