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pour l’Europe une période d’attente, d’observation, de menées mystérieuses, de relations changeantes et peu sûres, de contradictions perpétuelles entre la volonté, le désir de la paix qui est partout, et la conjuration des élémens suspects. Elle n’a pas vu, il est vrai, la paix troublée, elle ne l’a pas vue non plus raffermie et assurée. Pour la France, qui est certainement intéressée, elle aussi, à la destinée commune de l’Europe, qui nous touche avant tout, elle aura été le règne continué et aggravé d’une politique qui a mis le déficit dans les finances, la violence et le trouble dans la vie morale du pays, l’anarchie dans le parlement, l’impuissance dans le gouvernement; elle aura commencé par une crise ministérielle pour finir par une crise ministérielle de plus, après avoir offert le spectacle d’une déperdition croissante de toutes les forces publiques. Pauvre règne ! pauvre année, qui aura passé sans laisser même au pays un budget régulier, et surtout sans éclairer ceux qui ont conduit la France à ce point où elle sent qu’il n’y a d’autre progrès que celui d’une certaine désorganisation, que plus les ministères changent, moins elle est dirigée et gouvernée! On aura franchi l’étape tant bien que mal, on aura vécu sans trouble, sinon sans malaise : c’est tout ce qu’on peut dire de mieux.

Non certes, en dépit de ses apparences paisibles, cette année qui s’achève aujourd’hui n’aura pas été des plus heureuses ; elle n’aura donné au pays ni la sécurité ni la confiance. Lorsqu’elle en était encore à ses premières heures, M. le président de la république venait d’être réélu, d’obtenir pour sa part son second septennat, et en même temps naissait un nouveau ministère, celui-là même qui a été renversé, qui a tout au moins perdu son chef dans la bagarre parlementaire il y a quelques jours. C’était le ministère présidé par M. de Freycinet, qui succédait à un ministère présidé par M. Brisson, lequel avait succédé à un ministère présidé par M. Jules Ferry. Qu’on ne s’y trompe pas d’ailleurs : les noms sont différens, c’est toujours à peu près la même politique, dont l’unique secret est de chercher à faire un gouvernement avec des instincts anarchiques, avec des passions qui ont pour essence l’indiscipline agitée et agitatrice. M. de Freycinet est sans doute de ceux qui se flattent de jouer le même air et de le jouer mieux; il l’a essayé une fois de plus. Il croyait évidemment, en revenant à la direction des affaires il y a un an, avoir plus que tout autre l’art de manier les radicaux, de les ramener à sa majorité, à sa concentration républicaine, et il ne leur a certes ménagé ni les portefeuilles ni les fonctions de toute sorte, ni les concessions, ni les promesses, ni les avances doucereuses, ni les satisfactions violentes. Il a fait, pour plaire à leurs passions vindicatives, l’expulsion des princes. Il a laissé son collègue de l’instruction publique poursuivre le cours de ses vexations religieuses, aller jusqu’au bout de cette loi scolaire qui est la violation organisée de toute liberté. El avec toutes ses connivences, avec ces