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le drame. Écoutons là-dessus le seul, peut-être, des écrivains du xviiie siècle qui n’ait pas déraisonné en parlant musique. Chabanon, à qui l’esthétique allemande est redevable de tant d’aperçus ingénieux, a donné sur la question cette page excellente et trop peu connue : « Nous reconnaissons sans peine que, dans le récitatif, les intonations ont quelquefois une convenance heureuse avec les paroles. Tel est le chant de Clytemnestre : « Ah ! je succombe à ma douleur mortelle ! » Cette phrase, chantée convenablement au sens des paroles, fait descendre la voix par des cordes douces et sensibles et avec une sorte d’affaissement douloureux. Mais est-on assuré que ce même chant, rendu avec moins de langueur, rejetât des mots qui porteraient un sens différent et peut-être contraire ? Les tournures du récitatif semblent infiniment bornées ; on répète souvent les mêmes. Il n’est point d’auditeur attentif qui n’ait dû s’en apercevoir, et de compositeur de bonne foi qui n’ait dû s’en rendre un compte affligeant… Le sens des mots jette un autre reflet sur les sons, et, dans ce point comme en beaucoup d’autres, l’esprit modifie le jugement des sens. Toute scène vraiment intéressante, quelque récitatif qu’on y mette, attachera le spectateur, si l’exécution en est confiée à des acteurs habiles, tant l’accent, le geste et le visage du déclamateur suppléent à ce qui n’est pas écrit… C’est dans les détails de la musique, plus encore que dans les intonations du récitatif, qu’il faut chercher la cause de ces grands effets que nous avons sentis. » Il est impossible de mieux répondre à ces esprits bornés, qui sous couleur de rendre la musique plus expressive, la réduisaient à sa plus simple expression.

La querelle des Bouffons n’avait été qu’un malentendu entre la musique et la littérature ; celle des gluckistes fut l’invasion de la littérature dans la musique. Si le maître avait suivi jusqu’au bout ses disciples, et qu’il eût partout fait école, le drame lyrique était perdu. Par bonheur, il y a pour les artistes de génie une providence spéciale qui les retient au bord de l’abîme. Au moment même où la préoccupation de conformer la déclamation aux paroles entraîne Gluck à rompre le fil mélodique, l’instinct lui suggère de transporter la mélodie à l’orchestre, pour laisser à la déclamation toute liberté. Le principal intérêt de la partition d’Armide est dans l’emploi constant de ce procédé ; — je parle, bien entendu, des parties originales de cet opéra composite. Les longues tenues, les accords plaqués, les insipides trémolos sont presque partout remplacés par des figures d’accompagnement, par des phrases instrumentales d’un dessin constant, qui tantôt persistent tout le long du morceau, comme dans le duo d’Armide et d’Hidraot, tantôt reparaissent de