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velles ne passaient qu’avec son agrément ; Cambini n’osait sans sa permission donner au concert sa cantate d'Armide ; Floquet, ayant réussi avec sqn ballet l’Union de l’Amour et des Arts, voyait tout le parti cabaler contre son opéra d'Azolan. On parlait depuis longtemps de faire travailler Piccinni pour l’Opéra ; sur le simple bruit de la reprise des pourparlers, Suard et l’abbé Arnaud se mirent à le cribler d’épigrammes. Ce n’était pas le compte de Marmontel, qui devait écrire les paroles de la pièce, et son dépit n’attendit pas beaucoup pour éclater. À quelques jours de là, La Harpe, en annonçant dans son journal la reprise à'fphigénie, se permit certaines restrictions ; les fanatiques prirent mal la chose, et voilà la guerre allumée. Cette nouvelle dispute n’eut pas, à beaucoup près, le piquant et la portée de la Querelle des Bouffons ; plus d’invectives et moins d’esprit, des vérités, mais banales, et qui font regretter les paradoxes de Diderot, tel est le bilan des Mémoires de l’abbé Le Blond. On cherche même, par momens, à qui ces gens en ont et où ils veulent en venir ; il ne s’agit plus, comme au temps de Rameau, de célébrer les mérites de l’opéra italien : tous l’ont abandonné : il n’est pas question de parallèle entre Gluck et Piccinni : le Napolitain n’a pas encore paru qu’on le sent déjà vaincu d’avance ; le génie de Gluck n’est même pas en cause. Rien de plus inoffensif que les premières critiques de La Harpe. Il ne voulait, disait-il, que noter les réserves de ceux qui, tout en rendant justice au chevalier, ne trouvaient pas qu’il fût exempt de défauts ni surtout qu’il eût réuni tous les mérites. Il proclamait Orphée un chef-d’œuvre : il en saluait l’auteur comme un harmoniste consommé, initié à toutes les ressources de son art, et rachetant par là ce qui pouvait lui manquer du côté de la mélodie, — car, en France, s’il est entendu que tout musicien savant doit manquer de charme, réciproquement, toute musique qui semble dépourvue de charme est, par ce seul fait, classée comme savante. Mais La Harpe n’entendait pas malice à l’éloge, pas plus que Suard, son adversaire, n’était homme à y voir une épigramme. Quant au reproche, on aurait eu autant de mal à le réfuter qu’à l’établir ; qu’est-ce que le charme, en effet, sinon l’indéfinissable ? La discussion sur les propriétés constitutives de la mélodie s’étant épuisée rapidement, on passa bientôt aux gros mots. Au fond, on en voulait à l’Allemand de se poser en « réformateur du goût d’une nation vaine et polie. » Lorsque Marmontel porta la question sur ce terram, il eut pour lui les rieurs. Toute la partie de son Essai sur les révolutions de la musique, où il montre la tradition de Rameau reprise purement et simplement par Calzabigi et par Gluck, l’unité de l’ensemble donnée par le plan même de l’opéra français, l’inanité de la prétendue révolution musicale, est excellente. Les