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banale qu’il fant mesurer Iphigénie et Alceste ? et dans quel opéra français vit-on jamais hurler la prière ou badiner la douleur ? Mêmes dithyrambes puérils à propos de l’adaptation de la mélodie aux paroles : « Ne semble-t-il pas, poursuit notre homme, que ces mots : « Tout m’abandonne, » résonnent dans un lieu désert ; et ces autres mots : « Un si pénible effort, » pouvaient-ils être mieux exprimés que par un chant qui ne peut, en effet, se rendre sans effort[1].» On va loin avec de pareils procédés de critique. Au lieu de réagir contre ces partis-pris, Gluck les encourageait par son attitude. Il commentait lui-même ses œuvres avec un luxe incroyable de gloses et de subtilités. Corancez s’étonnait un jour que, dans l’air d’Agamemnon : « Je n’obéirai pas à cet ordre inhumain, » le musicien eût fait la syllabe je longue la première fois, et brève à la reprise. « Considérez , lui répond Gluck , que ce prince est entre les deux plus fortes puissances opposées, la nature et la religion ; la nature l’emporte enfin, mais avant d’articuler ce mot terrible de désobéissance aux dieux, il doit hésiter. Ma note longue forme l’hésitation ; mais, une fois le mot lâché, qu’il le répète tant cpi’il le voudra, il n’y a pas lieu à hésitation ; ma note longue ne serait donc plus qu’une faute de prosodie. » Voilà qui est bien. Désormais, nous nous tiendrons pour dit que chaque note, chaque syllabe répond à une intention dramatique. Mais alors, — car. avec un pareil casuiste, il est permis d’argumenter, — pourquoi tout le récitatif roule-t-il sur huit accords , qu’il s’agisse d’Agamemnon , de Pâris ou d’Armide ? Pourquoi la joie d’Admète rendu à la vie et retrouvant une épouse adorée a-t-elle exactement le même accent que l’inquiétude du même Admète quand, un peu plus loin, il commence à soupçonner le prix de sa guérison ? Pourquoi, dans Iphigénie, le coup de théâtre du second acte, — la révélation du fatal dessein d’Agamemnon, — n’est-il souligné, ni par une modulation, ni par un changement de rythme, ni par une figure d’accompagnement ? Pourquoi… l’on n’en finirait pas de relever tous les manquemens à la règle. Mais voici le plus curieux. C’est au moment même où Gluck inaugure sa troisième manière, où il commence, par conséquent, à déployer ses visées vers l’expression mathématique, qu’il est le plus pressé de dépecer ses anciens opéras au profit des nouveaux. Pour les airs de danse, — presque tous charmans d’ailleurs, — qu’il fait passer et repasser d’une pièce à l’autre comme des figurans de théâtre, ce n’est que péché véniel. Mais que penser de la multitude d’airs parodiés, au sens propre du terme, dont ses dernières partitions sont pleines ? La liste de ces remplois, déjà si-

  1. Le Souper des enthousiastes, dans les Mémoires de l’abbé Le Blond.