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tion n’est pas suffisamment ménagée. Mais cette faute de perspective disparaît dans le rayonnement de la poétique figure d’Iphigénie. La rude main du maître a trouvé pour elle d’exquises délicatesses de touche, et sans l’exagération maladroite, toujours pressée d’évoquer en face des créations de Gluck l’idéal de la beauté grecque, nous n’aurions qu’à admirer l’expression de la jeunesse et de la grâce, aussi parfaite que pouvait la concevoir un contemporain de Bouchardon et de Greuze. Les autres rôles ne sont pas, à beaucoup près, du même ordre ; on reprendrait avec raison l’insignifiance du caractère d’Achille, le manque d’unité de celui de Clytemnestre, la banalité des chœurs syllabiques, bien des imperfections de détail ; en somme, aucune œuvre de cette importance n’avait encore paru au théâtre. Rameau, sans doute, s’était efforcé de grouper les personnages et d’enchaîner les scènes, mais sur un moins vaste plan ; il avait sa varier les rythmes, mais sans attribuer aux dessins d’accompagnement une signification psychologique ; il avait associé l’orchestre aux situations du drame, mais sans établir de relation directe entre le timbre des instrumens et le caractère des personnages. Dans cette constante recherche de l’effet par le dehors, Gluck rencontre des inspirations de génie. Quand il interrompt l’orchestre pour laisser tomber des lèvres de Calchas le décret de Diane, comme lorsqu’il confie aux altos le trouble secret d’Oreste ou d’Armide, qu’il fait prononcer à voix basse par les Euménides la parole vengeresse : « Il a tué sa mère ! » il est poète et musicien tout ensemble. Les littérateurs de la critique applaudissaient, et, naturellement, ils renchérirent. C’était bien fait à eux de louer les tendres regrets d’Iphigénie, le cri d’Agamemnon défendant contre Calchas les droits de la nature, et la belle marche harmonique empruntée à Rameau, et l’accompagnement plaintif du basson et du hautbois, — une trouvaille de Gluck. Au fond pourtant, sous l’appareil esthétique du maître allemand on retrouvait la forme dramatique de l’ancien opéra français, étendue et perfectionnée sans doute, mais pas à proportion de ce que la musique avait gagné depuis un quart de siècle. C’était peu pour une révolution musicale. Les fidèles se lancèrent donc à la poursuite des intentions du maître, cherchant dans toutes ses partitions des charades à déchiffrer. Dès l’ouverture, leur imagination commence à se donner carrière. Celle d’Iphigénie est bien connue : dix-neuf mesures d’introduction en mode mineur ; un thème d’allegro des plus ordinaires, entrecoupé d’un court dialogue de violons et de hautbois, et, pour finir, une chute si gaudie que Mozart, Halévy et Richard Wagner ont essayé, tour à tour, d’y substituer une conclusion présentable. Voici ce que la fantaisie de l’abbé Arnaud a su tirer de ce mince travail symphonique : « Prêtez l’oreille à l’ouverture. Voyez comment, après en avoir lié le début