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certaine austérité qui ne l’abandonne pas, même dans l’expression de sa passion pour Paris. Cette différence vient, sans doute, de ce que Paris était Phrygien, et Hélène Spartiate ; mais il n’a pas songé que Sparte n’a dû la sévérité de ses mœurs qu’à Lycurgue, et Lycurgue est de beaucoup postérieur à Hélène. » Sur quoi, Gluck, qui n’est jamais à court, riposte par l’intermédiaire de leur commun ami : « Dites à M. Rousseau que je le remercie de l’attention qu’il veut bien donner à mes ouvrages. Observez-lui cependant que je n’ai peint commis l’anachronisme dont il m’accuse. Si jai donné à Hélène un style sévère, ce n’est point parce qu’elle était Spartiate, mais parce qu’Homère lui-même lui donne ce caractère ; dites-lui enfin, pour terminer par un seul mot, qu’elle était estimée d’Hector. » Toute cette érudition, à propos d’une Hélène qui fait des roulades, et qui, sur un air de menuet, met en garde les jeunes personnes contre les pièges des séducteurs !


III.

Paride ed Elena fut le dernier ouvrage que Gluck composa pour l’opéra de Vienne. Il se jugeait méconnu ; il prenait à partie son collaborateur, les interprètes, toute la critique ; il remplissait la cour et la ville des cris de son amour-propre blessé. Son épître dédicatoire de Paris et Hélène n’est qu’une longue philippique contre les gens de goût et les puristes, coupables de froideur pour Alceste. La version qui figure dans les mémoires de l’abbé Le Blond dépasse la mesure : « Un de ces délicats amateurs qui ont mis toute leur âme dans leurs oreilles, aura trouvé un air trop âpre, un passage trop ressenti ou mal préparé, sans songer que, dans la situation, cet air, ce passage était le sublime de l’expression et formait le plus heureux contraste. » Voiià des choses qu’on ne se dit pas à soi-même. Dans le texte publié par M. Nohl, la phrase est légèrement adoucie, mais il en reste assez pour faire voir l’état d’esprit du chevalier. Quand un artiste de génie croit avoir à se plaindre de ses compatriotes, il est bien près d’aller chercher sa revanche à l’étranger. Depuis quelque temps, Gluck regardait du côté de la France. Il y avait noué déjà des amitiés littéraires ; c’était à l’occasion de ces tristes opéras comiques qu’il composait sur les livrets remaniés de Favart. À ce propos, il était venu faire une seconde apparition à Paris ; (il y avait déjà passé vers 1745, en compagnie du prince Lobkowitz). Chez Favart, qui lui offrit l’hospitalité, il fit la connaissance de quelques gens de lettres, parmi lesquels l’abbé Arnaud, à qui il eut soin d’envoyer, depuis, tous ses ouvrages ; c’était d’un habile homme et qui savait son