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la plume à la manière de Rameau, il eut recours à l’abbé Coltellini, comme plus tard, en France, il devait s’adresser à « l’Anonyme de Vaugirard. » La préface, rédigée par l’abbé, sous forme d’épître dédicatoire à Léopold II, alors grand-duc de Toscane, a le ton d’un manifeste. L’apport des deux collaborateurs s’y laisse reconnaître sans trop de peine. La pensée première de Gluck, — la préoccupation de l’exactitude et du développement de l’expression, la réaction contre les abus introduits par la vanité des chanteurs italiens, — y est vigoureusement dessinée. Mais, tout aussitôt, se montre l’esprit dogmatique, un besoin d’ériger en règle ce qu’on a jugébonunefois. L’ouverture d’Alceste répondait à la lugubre couleur du premier acte ; désormais l’ouverture « devra prévenir les spectateurs sur le caractère de l’action qu’on va mettre sous leurs yeux. » C’était singulièrement engager l’avenir. Il semble qu’ici le teinturier, — comme on disait alors, — chargé de donner à l’idée du maître le lustre et l’apprêt qu’il faut pour faire figure dans le monde, outre-passe son mandat. Voici maintenant, de son cru, une théorie complète des rapports de la poésie et la musique et tout à l’avantage de la première : « Je cherchai à réduire la musique à sa véritable fonction,… je crus que la musique devait ajouter à la poésie ce qu’ajoute à un dessin correct et bien composé la vivacité des couleurs et l’accord heureux des lumières et des ombres, qui servent à animer les figures sans en altérer les contours. »

Nous avions vu Gluck déjà porté par nature à trop attendre du poète, à marcher dans son ombre. Ce qui dans Alceste n’était que tendance, sous la plume de l’abbé Coltellini passe à l’état de règle d’esthétique. Le littérateur ne connaît pas d’obstacles ; il découvre dans un tableau ou dans une partition une foule d’intentions philosophiques ; il les signale à l’admiration de la foule, et voilà l’artiste qui s’imagine de bonne foi les y avoir mises, ou qui va se croire tenu de les y notettre, pour l’honneur de toutes les belles choses qu’on en a dites. Le plus souvent ce sont ses défauts dont on lui fait gloire. Les apologistes de Pâris et Hélène n’y faillirent pas. On s’était plaint qu’Hélène manqucàt absolument de charme ; l’officieux porte-parole de Gluck lui fournit la curieuse justification suivante : « J’ai dû chercher la variété des couleurs dans le caractère diflérent des Phrygiens et des Spartiates, en mettant en parallèle la rudesse et la sauvagerie des uns, avec la délicatesse et la mollesse des autres. » Le plaisant, c’est que J.-J. Rousseau prit pour argent comptant cette explication après coup, et qu’il se donna la peine de la discuter par des raisons historiques. « Je vois bien, disait-il à Corancez, que M. Gluck a mis dans le rôle d’Hélène une