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n’est-elle pas partout moins profonde ? Prenez l’un après l’autre ses personnages antiques, Admète, Alceste, Agamemnon, Pâris, Hélène, et jusqu’à cette touchante Iphigénie : trouvez-vous qu’ils approchent des types immortels d’Eurydice et d’Orphée ? Comparez maintenant la descente aux enfers avec les scènes de terreur d’Iphigénie ou d’Armide, et dites si les fureurs dOreste ou les imprécations de la Haine donnent le même frisson ; sans compter ce qu’ajoute à l’effet le contraste du merveilleux paysage musical des « champs Élysées » qui n’a son pendant ni dans l’œuvre de Giuck, ni peut-être au théâtre.

On voudrait s’arrêter devant ces trésors d’inspiration, ce pur jet de source, comme on cherche à retenir l’heure bénie, l’heure unique qu’on sent prête à s’échapper sans retour. Déjà le troisième acte faiblit ; la vois se casse. Même dans l’air à jamais fameux : J’ai perdu mon Eurydice ! qui couronne le drame, il y a quatre mesures de début où l’on trouverait à la rigueur matière à chicane. Mais je rougis de ces vétilles. Attendons au moins, pour disputer contre Gluck, que lui-même argumente et subtilise, et ne lui cherchons pas querelle au moment où il écrit sous la dictée de son cœur,

À Vienne, où l’Orfeo fut représenté pour la première fois, le 5 octobre 1762, le succès se décida presque d’emblée, — le temps, pour le public, de se remettre d’un moment de surprise ; car, avec son étiquette italienne, cette partition est peut-être celle où Gluck se dégage le plus complètement des formules consacrées. Nulle part le chant et la déclamation ne fusionnent plus intimement ; il y a des airs qui n’ont pas de reprise ; plusieurs commencent dans un ton et finissent dans un autre. Pourtant, l’Italie prit feu du premier coup. À Parme, l’infortuné Traëtta faisait jouer son opéra d’Armide ; il fallut le retirer de la scène ; le public ne voulait entendre qu’Orfeo. De même à Paris, pendant qu’on discutait Iphigénie et qu’Alceste ne se soutenait que par l’effort de quelques fervens, Orphée allait aux nues. Nouvelle preuve que le chef-d’œuvre de Gluck venait à son heure, et que, si le maître rencontra plus tard des résistances, ce n’est pas parce que la hardiesse de ses piX)cédés effarouchait ses auditeurs.

Cinq ans se passent après ce premier triomphe, sans que Gluck, fasse un nouveau pas dans la voie qu’il s’est ouverte. On pourrait le croire retombé dans son péché d’habitude, car aussitôt après Orphée, c’est Ezio, dont Métastase a fourni les paroles, puis les Pèlerins de La Mecque, une farce de Le Sage, arrangée en opérette. Mais cette apparente somnolence cachait une haute entreprise, Galzabigi voulant emprunter ses héros à l’antiquité classique, c’est dans les poètes grecs et latins que Gluck devait étudier ses carac-