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et de Telemacco dans les réformes de Gluck. Mais il faut convenir aussi que pour un homnae qui porte en tête un plan de réformes, il attend avec une singulière sérénité le collaborateur providentiel. On croit, au moins, qu’en l’attendant il va ceindre ses reins, monter sa lyre, retremper son style. Hélas ! il n’est jamais tombé plus bas que pendant cette phase de sa vie : c’est le moment où il remet en musique, pour le théâtre de Vienne, les opéras comiques de Favart ; et Favart déclare que M. le chevalier Gluck excelle dans ce genre de composition. Le Chinois poli en France, l’Île de Merlin, le Cadi dupé, le Diable à quatre, voilà avec quoi il se fait la main. N’avais-je pas raison de dire que ce grand homme est décidément indéchiffrable ?

Pendant qu’il retournait à Métastase ou qu’il se compromettait à des tâches indignes de sa plume, la réaction se dessinait en Italie contre les abus raillés par Marcello. La réputation de Rameau commençait à se répandre hors de France, et l’attention des musiciens étrangers s’était portée depuis longtemps sur ses ouvrages, lorsque Traëtta fut chargé, en 1759, d’arranger Hippolyte et Aricie pour le théâtre de Parme. Encouragé par le succès, Traëtta composait la même année une Iphigénie en Tauride, visiblement inspirée de Castor et Pollux, quoique redevable à Telemacco de quelques souvenirs. Le thème du chœur en imitations : Il crudo ferro, dont M. Bitter vante justement le caractère tragique, n’est autre que la réponse d’orchestre du chœur funèbre de Castor : Que tout gémisse. J’insiste sur ce point, non pour dépriser la partition remarquable du compositeur italien, mais parce qu’à mon sens on n’a pas jusqu’ici suffisamment tenu compte de l’influence de Rameau sur le mouvement musical de son siècle. L’importance croissante de la déclamation dans l’IIphigénie et dans la Sophonisbe, contemporaine d’Orphée, atteste le progrès des idées françaises. Traëtta, de treize ans plus jeune que Gluck, poursuivait ainsi l’œuvre du maître et lui préparait les voies, pour le moment où il lui plairait de la reprendre, en sorte qu’il pourrait être appelé tout à la fois son précurseur et son disciple.

Le public, cependant, qui voyait reparaître, à chaque changement de saison, l’Allessandro nell’ Indie, la Cleinenza di Tito, la « divine » Olympiade en nouvel équipage musical, délaissait peu à peu son poète favori pour les librettistes de la jeune génération : l’abbé Coltellini, le collaborateur de Traëtta dans l’opéra d’Iphigénie en Tauride, Raniero Calzabigi, de Livourne, déjà connu pour avoir publié à Paris une traduction de Métastase, et conseiller à la chambre des comptes des Pays-Bas, en résidence à Vienne. La liaison de ces deux hommes de lettres avec Gluck amena, à sept ans