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drame se déroulent dans la coulisse ; le spectateur n’en est informé que par une sèche psalmodie débitée avec volubilité, sur un ton qui n’est ni le chant, ni la déclamation, ni la parole ; peu ou point d’ensembles ; le chœur n’intervient que pour roucouler des fadeurs étrangères à l’action. Ainsi immobilisé dans un cadre uniforme, le compositeur emploie tout son talent à construire de beaux airs avec leur cortège obligé de ritournelles et de cadences ; toute sa psychologie se dépense en lieux-communs ; ce n’est qu’à de rares intervalles que l’arioso, — la mélodie libre et sans reprise, — a le droit d’apparaître. L’idée de rattacher les morceaux de chant les uns aux autres par un dialogue musical, pour en former de véritables scènes, cette liaison, ce groupement, ces contrastes que l’opéra italien n’avait pas connus avant Gluck, se montrent pour la première fois dans Telemacco. En cela consiste la haute portée de cette œuvre, que M. Bitter considère avec raison comme le point de départ de l’évolution du maître vers une forme rationnelle de musique dramatique.

Gluck a donc trouvé sa voie ; il a trente-cinq ans, sa réputation faite ; un riche mariage lui assure l’indépendance ; le comte Durazzo, l’un de ses nombreux patrons, appelé à la surintendance de l’opéra de Vienne, va bientôt lui en confier la direction. C’est le cas d’entrer en campagne, s’il a vraiment la pensée de réformer le théâtre. Tout au contraire, la Clemenza di Tito, la première partition qui succède à Télémaque, est un retour pur et simple à l’opéra traditionnel ; et, pendant les treize années qui vont suivre, Gluck ne tentera rien pour en sortir. Pourquoi ce recul et cette longue inaction ? D’abord, par l’excellente raison que l’agencement du drame lyrique n’est pas l’œuvre du musicien ; pour apte qu’il soit à dessiner des caractères, à varier l’intérêt et à faire progresser l’action, encore faut-il que son librettiste lui fournisse des situations et des types. Gluck, aux prises avec les tirades sentencieuses du théâtre à la mode, n’est plus que l’élève médiocre de l’irrégulier Sammartini ; il lui faut, pour déployer ses ailes, le conflit des passions, le contraste des sentimens, la lutte de l’amour et du devoir dans le cœur d’Ulysse ou de Renaud, les conjurations et les fureurs de Circé ou d’Armide. Au point de vue de la musique pure, la Clemenza renferme d’incontestables beautés ; toute la supériorité de Telemacco est dans la différence des deux poèmes. M. Bitter les attribue l’un et l’autre à Métastase ; la dissemblance est cependant frappante. La Clemenza seule est de la plume du célèbre abbé ; Telemacco appartient à Sigismondo Capece, qui l’avait composé, dès 1718, pour Alessandro Scarlatti. Que Métastase et son école soient ainsi responsables des treize années perdues entre Telemacco et Orphée, j’y donne volontiers les mains ; c’est l’aveu du rôle essentiel des poètes d’Orphée