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ture, rien cependant qui tranche sur la pratique courante des écoles d’Italie. La Semiramide riconosciuta, qui fut donnée à Vienne sept ans plus tard en l’honneur de Marie-Thérèse, est du même style : très inférieure, pour la beauté des airs, aux partitions de Hasse et de Graun, remarquable déjà par le caractère dramatique de plusieurs scènes et par une certaine discrétion dans l’emploi de la roulade. Cette tendance louable mérite qu’on la note en passant ; mais il a fallu toute la bonne volonté des admirateurs de Gluck pour y découvrir l’aurore d’une renaissance musicale. Laissons donc ses premiers essais pour ce qu’ils sont, des œuvres de commençant, de valeur moyenne et de nulle portée. Bien autrement significatif est Telemacro, qui suivit Semiramide à un an de distance. D’instinct et d’abordée, sans préméditation, sans volonté systématique, Gluck y laisse entrevoir tout ce que sa future théorie renfermera d’idées justes, tout ce qu’elle comportera d’applications heureuses. Télémaque tend la main à Pylade ; Circé est sœur d’Armide, — et même une sœur assez complaisante, à ce que nous verrons par la suite. De Semiramide à Telemaco, la distance est énorme et le pas décisif ; cette fois, c’est bien la révolution qui commence. Et pourtant un doute me vient à ce sujet. On a beaucoup parlé de la décadence de l’opéra italien à l’époque de Gluck ; on a cité d’écrasans témoignages : Arteaga et le père Martini, Beccaria et le président de Brosses. Certes, à entendre les conseils ironiques de Benedetto Marcello aux jeunes compositeurs, on croirait que les musiciens d’Italie s’étaient donné le mot pour rompre en visière au sens commun : « Le compositeur moderne détruira tant qu’il le pourra le sens des paroles ;… il ne faut point qu’il s’avise de lire le poème entier avant de le mettre en musique, de crainte d’effaroucher son imagination ; il le composera vers par vers et ne manquera pas d’appliquer aux airs les motifs qu’il aura préparés dans l’année ;… si un époux se trouve renfermé dans quelque prison avec son épouse, et que l’un d’eux sorte pour aller à la mort, l’autre devra rester pour chanter une ariette où tout exprimera la gaîté ; … enfin, quand l’entrepreneur se plaindra de la musique, le compositeur protestera que c’est à tort, ayant employé près de trois jours à composer son opéra, et y ayant mis un tiers de plus de notes qu’on n’a coutume de le faire. » Si la peinture est fidèle, les plus médiocres partitions de Gluck étaient dignes d’être saluées comme des merveilles de logique et de goût au milieu de ce débordement d’extravagances. Mais comment la prendre au sérieux, quand on songe que Marcello est le contemporain de Pergolèse ? On n’a pas assez remarqué, peut-être, qu’il faut faire double part dans l’œuvre des plus grands maîtres d’alors : d’un côté, les belles partitions qui ont mérité de survivre ; de l’autre, une foule de productions