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d’Isocrate. Gluck écrit pour le théâtre, et, au théâtre, le style est tout dans l’accent dramatique. Qu’importe le plaisir de l’oreille, si l’action languit, si le personnage chante à contresens ? Celui-là seul comprend la dignité de l’art, qui subordonne tout le reste à la marche du drame, à la vérité de l’expression, à la couleur locale, à la peinture des caractères. Là est la grandeur de Gluck, la beauté de ses tragédies lyriques. Si ce n’est pas de la musique, tant pis pour la musique ; c’est quelque chose de plus, à coup sûr : pensée que Wieland traduisait, d’après Pythagore, en jargon mythologique, lorsqu’il louait le maître d’avoir a préféré les muses aux sirènes. »

Cette théorie a pu avoir cours au xviiie siècle ; nous l’avons vue, nous la verrons encore, sans doute, se produire ; elle ne répond pas à la véritable et moderne notion de l’œuvre d’art. Que le beau musical soit incompatible avec la vérité dramatique et les convenances de la scène, personne ne le soutiendra sérieusement, mais qu’il doive résulter de la seule conformité de la musique avec les situations du drame, c’est une idée qui ne pouvait naître que dans un cerveau d’encyclopédiste. Qu’on veuille bien m’entendre. Il ne s’agit pas de réhabiliter la mélodie quand même, de donner le pas à la roulade sur le récitatif pathétique, de ravaler, en un mot, la musique au métier « d’art de joie, » condamné à toujours plaire, et rien qu’à plaire. Non, encore un coup, son rôle n’est pas borné au charme de l’oreille. Elle peut, elle doit intéresser l’esprit par les rappels, par les développemens ingénieux des thèmes, émouvoir le cœur par la force expressive de la mélodie ou des accords. Mais, qu’elle s’adresse à l’esprit, au cœur ou à l’oreille, n’oublions pas que l’impression qu’elle veut produire est essentiellement liée à certaines conditions de beauté plastique, par lesquelles seulement elle mérite de compter parmi les beaux-arts, sans lesquelles elle n’est rien. La littérature se montre plus accommodante ; dans la prose, dans la poésie même, une belle pensée mal rendue garde quelque prix ; encore un grand écrivain a-t-il pu dire qu’une phrase mal agencée correspond en général à une idée inexacte. Mais la musique, où l’expression et la pensée, où la forme et le fond ne sont qu’un, ne peut se désintéresser de la forme sans abdiquer. Voilà ce qu’il faut se remettre en mémoire au moment de se trouver en face d’un Diderot ou d’un Jean-Jacques ; et, pour en revenir à Gluck, disons-le bien haut : quelque méritoire «que soit la vérité au théâtre, s’il n’a que cela pour racheter ses défaillances, il faudra le rayer du nombre des grands maîtres ; s’il a dépouillé la musique de ses ornemens frivoles sans lui rien apporter à la place, sa sobriété n’est qu’indigence ; s’il a