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un réfractai re qui résiste à toutes les catégories ; cet apôtre reste isolé entre les deux courans, allemand et italien, qui tendent à se rejoindre. Et même, à le prendre par le détail, ce novateur retarie sur ses devanciers. À deux pas des plus grands stylistes, Haendel, Marcello, Scarlatti, un rien l’embarrasse et le trouble. Sa ligne mélodique est sèche, grêle, indécise, à tout moment rompue ; son harmonie ne pèche pas seulement par la correction, — beaucoup de grands maîtres ont la manche large sur ce chapitre, — elle marche péniblemeni et butte à chaque pas. Tantôt c’est la basse qui fait avec le chant une suite d’octaves, tantôt c’est l’une des parties qui reste en l’air faute de savoir où prendre pied, ou qui se dégage par une saccade ; tout cela, sans raison apparente, sans but, sans parti-pris ; pur manque de savoir-faire. Longtemps, ces défaillances ont été mises au compte des copistes, à qui l’on convenait pourtant que Gluck, par ses négligences de pîume, avait dû rendre la tâche lourde : il me semble entendre Berlioz signaler avec sa verve indignée les mutilations du texte, et jeter le cri d’alarme. À son appel, les éditeurs se sont mis à l’œuvre ; une main pieuse, une main française, a discrètement réparé les outrages du temps, des scribes et des chefs d’orchestre ; voici que, par le dévoûment de Mlle Pelletan, les quatre opéras français, Alceste, Armide, et les deux Iphigénies, sont désormais rétablis dans leur premier état : après quel labeur, quels miracles de sagacité persévérante, M. Camille Saint-Saëns, qui fut quelque temps associé à son entreprise, a pu le dire[1]. Q’est-il sorti de cette reeension scrupuleuse ? Une version matériellement correcte, mais d’où n’a pu disparaître ce qui est le fait du compositeur : les fausses relations non sauvées, les dissonances mal résolues, les rythmes qui portent à faux, les périodes boiteuses qui rompent à tout instant l’équilibre. La préface de l’Iphigénie en Aulide contient à cet égard un aveu complet. « Il paraît, dit M. Damcke, le collaborateur de Mlle Pelletan, que Gluck pensait avoir suffisamment satisfait aux exigences de l’école, en écrivant correctement les parties vocales, et qu’il ne se souciait guère des incorrections qui pouvaient exister entre les voix et l’orchestre. » Voilà qui donnerait un peu raison à Haendel, dans son appréciation plus que sévère du contre-point de Gluck.

J’entends bien ce que va répondre une certaine école, ce que répondaient, au siècle dernier, Klopstock et Herder en Allemagne, l’abbé Arnaud et Suard en France. Il s’agit bien, en vérité, de contre-point et d’harmonie ! bon pour la symphonie et le styfe d’église ! Mais la langue d’Eschyle n’est pas celle de Pindare ou

  1. Harmonie et Mélodie. Paris, 1885.