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thousiasme légitime est exposé à faire fausse route. Pour lui rendre pleine justice, il ne suffit pas, comme il le demande dans sa fatuité naïve, de s’abandonner et de se laisser faire ; il faut se raisonner, par momens, même, prendre sur soi. Une semblable étude nous ménage donc bien des surprises. Notre admiration n’en sortira pas amoindrie ; mais elle ira souvent au rebours de l’opinion consacrée. Qu’on nous pardonne cette audace. Ce n’est pas manquer de respect aux grands hommes que d’écarter d’eux les flatteries compromettantes et de vouloir mettre leurs fidèles dans le véritable chemin.


I.

Un siècle seulement nous sépare de Gluck : juste ce qu’il faut à l’histoire pour disposer ses matériaux, la distance d’où elle peut embrasser l’ensemble, sans perdre de vue le détail. Le temps où il a vécu, le monde de cour et de théâtre auquel il s’est trouvé mêlé, ont été explorés, — j’allais dire exploités, — de nos jours, avec une prédilection particulière : pas une anecdote de cette bienheureuse époque qui n’ait été recueillie et commentée. Pour ce qui le concerne personnellement, de bonne heure, les gazettes ont tenu registre de ses faits et gestes ; les seuls articles relatifs à ses démêlés avec les gens de lettres ont fourni à l’abbé Le Blond la matière d’un volume de mémoires, monument anthologique à la plus grande gloire du maître[1] : enfin, les copieuses monographies d’Anton Schmid[2], de Marx[3], de M. Desnoiresterres ontéclairci les détails restés obscurs de sa première jeunesse. Nous savons par eux que Christophe Willibald Gluck naquit en 1714 à Weidenvang, dans le haut Palatinat, d’un simple garde-chasse : qu’il fit ses premières études au collège de Kommotau en Bohême, en même temps qu’il fréquentait chez les jésuites de l’endroit : comment ceux-ci, mieux inspirés qu’avec Rameau, favorisèrent ses dispositions musicales en lui enseignant le chant, le violon, le clavecin et l’orgue ; avec quelle bienveillance le prince Lobkowitz, au service duquel était son père, lui adoucit les années d’apprentissage ; comment, sur sa recommandation, le comte Melzi attacha Gluck à sa personne, l’emmena à Milan et lui donna pour maître le fameux Sammartini ; comme quoi l’élève jeta la tablature aux orties pour voler de ses propres ailes, dès que son protecteiu* lui eut obtenu la commande

  1. Mémoires pour servir à l’histoire de la révolution opérée dans la musique par le chevalier Gluck. Naples, 1781.
  2. Christoph Willibald Ritter von Gluck. Leipzig, 1854,
  3. Gluck und die Oper. Berlin, 1863.