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pas, d’après des indications sérieuses, à fixer la proportion de ces ménages irréguliers à 1 sur 10, ce qui donnerait un chiffre énorme. Le nombre des ménages parisiens, comme on les appelle dans la langue populaire, est sensiblement plus élevé dans les quartiers populaires que dans les autres. Telle est du moins la conclusion qu’on peut tirer du chiffre des reconnaissances d’enfans. Tandis que le chiffre des reconnaissances par rapport aux naissances d’enfans naturels est très faible dans les arrondissemens riches, tels, par exemple, que les Champs-Elysées et l’Opéra (ce dernier arrondissement présentant même la triste particularité d’être celui où il y a le plus de naissances naturelles et le moins de reconnaissances), au contraire, dans les arrondissemens populaires, tels que La Villette, Belleville, Montrouge, la proportion des reconnaissances d’enfans par rapport aux naissances est toujours très élevée. Cela tend à prouver que, dans les arrondissemens riches, les naissances naturelles sont surtout le fruit de la débauche, tandis que dans les arrondissemens populaires elles sont la conséquence du grand nombre des ménages irréguliers. La reconnaissance des enfans, tel est, en effet, assez fréquemment le devoir que s’impose le père, ou qu’il permet à la mère de remplir. Parfois même, au bout de quelques années, l’habitude ayant fortifié le lien, il consentira à un mariage qui légitimera les enfans; et ces légitimations sont, comme les reconnaissances, beaucoup plus fréquentes dans les quartiers populaires que dans les autres. Mais trop souvent aussi le père, lassé devoir s’accroître sa famille irrégulière, reprendra cette liberté qu’il n’a jamais voulu aliéner, et laissera la mère en proie avec ses enfans à toutes les horreurs de la misère : cruel et dernier châtiment d’une faute qu’elle n’a pas été seule à commettre, mais dont elle demeure seule à porter le poids.

Cette difficulté que je viens d’indiquer et qui est sérieuse, n’est cependant pas, il faut le reconnaître, générale. On trouve encore, dans le peuple, plus d’un brave garçon, disposé à contracter mariage. Mais lorsque garçon et fille seront tombés d’accord sur le dessein de se marier, ils se trouveront en présence d’une autre difficulté dont l’existence m’a été révélée par le mot profond d’un concierge. Il est bon parfois de faire causer les concierges. Celui-ci tenait la loge d’une grande maison presque exclusivement habitée par des ménages parisiens, et comme je m’en étonnais : « Voyez-vous, monsieur, me dit-il, le mariage est un luxe pour les classes pauvres. » Oui, cela est vrai. Le mariage est un luxe : luxe de temps, luxe d’argent qui n’est pas à la portée de tous et cela, grâce à qui? j’oserai le dire : grâce aux auteurs du code civil. Je sais