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recours à l’enluminure. C’est ainsi que, dans certains asiles de nuit (à Genève en particulier), on expose sous les yeux des cliens de l’asile deux gravures en couleurs représentant, l’une, l’estomac ouvert d’un homme sain ; l’autre, celui d’un alcoolique. Mais comme l’estomac ouvert, même d’un homme sain, n’est pas très agréable à contempler, je doute que ceux-ci attachent assez longtemps leurs yeux sur ces gravures pour discerner les taches violacées qui marbrent l’estomac de l’alcoolique. Ce sont là des moyens inoffensifs, mais peu efficaces. Beaucoup plus énergiques sont les moyens d’action adoptés par les sociétés de tempérance anglaises ou américaines, mais leurs procédés sont tout autres. Les membres de ces sociétés prêchent d’exemple et s’abstiennent de toute boisson fermentée : vin, eau-de-vie, etc. De là le nom de teetotallers qu’on leur donne, parce qu’en fait ils s’abreuvent uniquement de thé, ou encore celui un peu archaïque de nephalistes, tiré du breuvage antique appelé nephalies, dans la composition duquel il n’entrait point de vin. En France, ces excès de tempérance nous font sourire, mais nous avons tort ; car, avant de sourire, il faut comprendre. Les membres des sociétés de tempérance anglaises ou américaines ont à convaincre une population à laquelle l’usage du vin, boisson de luxe, est complètement inconnu, et qui ne consomme que du whiskey ou du gin. L’excuse invoqué par ces consommateurs habituels de liqueurs malsaines, c’est que, pour soutenir leurs forces, ils ne peuvent pas se contenter d’eau claire, et c’est pour répondre à cet argument que les membres des sociétés de tempérance se privent volontairement non-seulement de liqueurs, mais même de vin, et se condamnent à l’eau claire ou au thé, ce qui est à peu près la même chose. Les donneurs d’avis qui s’appliquent leurs conseils à eux-mêmes sont, par tous pays, gens assez rares pour mériter toute sorte de respect, surtout quand il s’agit de conseils donnés par les riches aux pauvres. Mais le procédé en lui-même est-il efficace? Oui, s’il faut en croire une intéressante communication adressée au congrès de Bruxelles, mais surtout pour assurer la longévité de ceux qui sont membres des sociétés de tempérance. C’est ainsi qu’une société anglaise d’assurance sur la vie ayant créé une section spéciale d’assurés néphalistes, il résulterait des tables de mortalité dressées pour cette section que la durée moyenne de la vie, chez les néphalistes, serait assez sensiblement plus longue que chez les assurés ordinaires, et, partant, il serait possible de distribuer tous les ans aux assurés néphalistes un boni de 15 pour 100 plus élevé que celui distribué aux autres assurés. Mais, tel n’étant pas exactement le but des sociétés de tempérance, il y a surtout lieu de se demander si leur action est efficace pour restreindre la consommation de l’alcool et prévenir