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peu le goût devient habitude, et l’habitude besoin. Ceux-là sont des alcooliques de parti-pris pour lesquels on ne saurait avoir trop de sévérité. Mais, à côté de ceux-là, combien n’entrent au cabaret que pour demander au stimulant de la boisson un supplément à l’insuffisance de leurs forces ? Combien y viennent fuir les préoccupations, les tristesses, parfois un chagrin cuisant, et, se précipitant dans les excès comme d’autres dans les divertissemens, ne cherchent d’abord dans l’ivresse que la distraction ? Combien, enfin, sans tomber aussi bas, viennent au cabaret tout simplement comme l’homme du monde va au club, pour y retrouver des amis, pour y lire le journal, et y contractent des habitudes de boisson qui peu à peu deviennent un besoin ? Sans doute cela est profondément regrettable, mais faut-il s’en étonner beaucoup ? Non, quand on songe au logis que l’ouvrier quitte, à ces chambres sans air, mais non pas sans odeur, glaciales en hiver, brûlantes en été, où des enfans piaillent, où des langes sèchent, où la femme, souvent avec raison, gronde ou gémit. Et ainsi nous nous trouvons ramenés en présence de cette terrible question du logement populaire que, non pas le premier assurément, je soulevais dans cette Revue il y a déjà cinq ans. Cette question a depuis lors donné lieu à de bien intéressans travaux, au premier rang desquels il faut citer ceux de mon éminent collaborateur M. Picot, puis ceux de MM. Dumesnil, Delaire, Cheysson, Marjolin, d’autres encore. Mais elle n’a pas encore reçu cette solution « digne de la république » qu’à la tribune du Corps législatif un ministre tombé du pouvoir promettait, un peu pompeusement peut-être, d’apporter. Si encore la faute en était à la république ! Mais je crains qu’il ne faille s’en prendre à la question elle-même, qui est si difficilement soluble. Certes, par la création de sociétés instituées sur le modèle des building societies anglaises ou américaines, l’initiative privée peut faire davantage qu’elle n’a fait jusqu’à présent. Mais il est certaines espérances qu’il en coûte de ne pouvoir partager, surtout lorsqu’elles sont exprimées avec une émotion éloquente. « Le vice et la misère recherchent les ruelles sales et sombres, disait naguère M. Cheysson dans une remarquable conférence sur les habitations ouvrières ; ils se plaisent sur ce terrain qui leur est propice et s’y développent comme le champignon sur le fumier. Mais faites circuler l’air à grands flots dans ces tristes quartiers ; ménagez un écoulement souterrain à ces eaux putrides qui transformaient le ruisseau en un égout découvert ; disposez de spacieux trottoirs en avant des maisons, plantez-y des arbres; lavez le pavé de la cour ; blanchissez les façades, assainissez la maison ; aussitôt, comme ces oiseaux de nuit que chasse la clarté du jour, le désordre, la saleté, les épidémies se réfugient dans d’autres cours