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je lus dans son regard la profondeur de son mépris pour ce voyageur oisif et affairé qui d’un pas distrait foulait aux pieds des tombeaux. Peut-être avait-il raison, et puisque tout aboutit à ce terme fatal, aussi bien l’activité française que l’indolence arabe, puisque le pied de l’enfant y vient heurter comme celui du vieillard, peut-être y aurait-il plus de sagesse à ne pas se consumer en efforts d’un jour et à s’absorber chacun, selon sa croyance, dans la pensée d’une éternité redoutable ou dans l’anticipation de ce néant qui a parfois tant d’attrait pour les âmes fatiguées. Mais pour ceux qui ne sauraient atteindre à cette vertu ou à cette philosophie, le mouvement incessant d’une grande ville offre à l’esprit un intérêt qui rend la vie plus légère, et ceux qui ont, suivant la belle expression d’un romancier moderne, « la religion de la souffrance humaine, » ceux-là peuvent trouver dans la pratique de cette religion le seul emploi des heures d’ici-bas qui ne laisse ni regrets, ni mécomptes. Il n’est donc aucun besoin de notre nature auquel Paris ne réponde, et c’est en ce sens qu’on peut dire avec Montaigne : « Je ne veux pas oublier que je ne me mutine jamais tant contre la France, que je ne regarde Paris de bon œil. Elle a mon cœur dès mon enfance et m’en est advenu comme des choses excellentes. Plus j’ai vu depuis d’autres villes belles, plus la beauté de celle-ci peut et gagne sur mon affection. Je l’aime par elle-même et plus en son propre être que surchargée de pompe étrangère. Je l’aime tendrement jusques à ses verrues et ses taches. »


I.

Paris est la ville de France où les salaires sont le plus élevés et l’épargne le plus faible. La statistique est formelle sur ce point, et bien qu’à la statistique on ne doive pas toujours se fier, il n’y a pas moyen, en l’espèce, de tirer une autre conclusion des chiffres qu’elle rassemble. C’est ainsi qu’en 1883, dans la petite industrie, le salaire moyen ordinaire[1] s’est élevé à Paris à 5 fr. 84 pour les hommes, à 2 fr. 90 pour les femmes, et, dans les autres chefs-lieux de département, à 3 fr. 43 pour les hommes et à 1 fr. 80 pour les femmes. Dans la grande industrie, l’écart a été sensiblement le même : 5 fr. 33 pour les hommes, 2 fr. 68 pour les femmes, à Paris, ou plutôt dans le département de la Seine ; 3 fr. 55

  1. Le salaire moyen maximum s’est élevé, en 1883, à 6 fr. 83, et, si l’on ne tient compte que des hommes, à 7 fr. 34. Le salaire moyen minimum pour les hommes a été de 4 fr. 97.