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tous les hommes, riches ou pauvres, entretiennent la misère dans les classes populaires, et la misère, à son tour, y engendre ces diverses formes du vice. On n’a donc point envisagé le problème sous toutes ses faces, tant qu’on n’a point étudié cette action réciproque et les moyens de la combattre. C’est ce que je voudrais essayer de faire dans une nouvelle série d’études, que je restreindrai, comme les précédentes, dans un cercle exclusivement parisien. Si j’ai choisi ce champ d’observations, ce n’est pas qu’à mon sens Paris mérite la réputation exceptionnelle de corruption que les étrangers se plaisent à lui faire. Toutes les grandes agglomérations humaines se valent à peu de chose près, et le marquis de Mirabeau avait raison de dire dans son langage énergique : « L’entassement des hommes engendre la pourriture, comme celui des pommes. » Mais, sans compter qu’il est difficile d’étendre au-delà d’un certain rayon des investigations personnelles, Paris présente encore à l’observateur un genre particulier d’intérêt. Nulle part le combat de la vertu contre le vice n’est engagé avec plus d’ardeur, et si, dans certaines villes étrangères, l’armée du bien fait plus de bruit, je ne crois pas qu’elle fasse meilleure besogne.

Ce contraste entre l’étalage bruyant du vice et l’activité silencieuse de la charité apparaît parfois d’une façon saisissante aux yeux de celui qui connaît bien son pavé de Paris. Remontez un soir cette large voie que l’empire a percée au travers de l’ancien quartier des Écoles, de la Seine à l’Observatoire, et qui a conservé, en dépit des temps, le nom clérical de boulevard Saint-Michel. Rien de déplaisant comme l’aspect des cafés et des brasseries qui bordent ce boulevard dans presque toute sa longueur, avec leurs dorures de mauvais goût et leurs peintures criardes. Rien qui présente sous un aspect moins idéal la jeunesse des écoles que l’intérieur de ces cafés et de ces brasseries où se presse une clientèle nombreuse d’étudians trop débraillés et de femmes trop élégantes. C’est la débauche dans toute sa vulgarité, et pour peu que vous ayez été crédule à Murger ou à Musset, vous ne pouvez vous empêcher de regretter le temps des Rodolphe et des Frédéric, des Mimi et des Bernerette, où à l’amour se mêlait, disent ces auteurs, un peu plus de poésie et un peu moins de vénalité. Mais, parvenu à la hauteur du Luxembourg, prenez cette artère nouvelle à laquelle on a donné le nom d’un de nos grands physiciens, et suivez-la jusqu’au coin de la rue Saint-Jacques. Là vos regards seront frappés par un grand bâtiment qui élève dans la nuit ses hautes murailles sombres percées de rares et étroites lucarnes. N’essayez point d’y pénétrer ; votre curiosité indifférente n’en pourrait franchir la clôture ;