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de rivales. N’avait-elle pas vu vingt fois le capitaine, alors que ses alliés lui offraient leurs filles, repousser avec véhémence ces offres, déclarer hautement que son Dieu n’admettait pas qu’un homme pût avoir plusieurs épouses? N’était-ce pas elle qui, heureuse de ces messages, avait été chargée d’expliquer aux ambitieux désireux de s’unir au conquérant l’invincible raison pour laquelle il refusait l’honneur que l’on voulait lui faire? Ces réponses, avec quelle joie intérieure Marina les transmettait aux intéressés, et comme elle l’adorait, ce Christ par lequel l’épouse unique, à jamais unique de Cortès, c’était elle, Marina ! car elle se croyait mariée, et comment ne l’eût-elle pas cru ?

Le père Olmedo, qui l’avait baptisée, ne la traitait-il pas en toute occasion comme l’épouse de Cortès, et ne blâmait-il pas sans cesse la polygamie ? Pendant les deux années employées à cheminer, à combattre, à traiter, que l’on se trouvât dans les plaines, sur les monts ou dans les villes, le zélé missionnaire, chaque matin, avait improvisé un autel et célébré la messe. Or n’était-ce pas elle qui, agenouillée près de Cortès en face de cet autel, avait journellement reçu les bénédictions du prêtre? Ne l’avait-il pas cent fois félicitée de son zèle à lui amener des néophytes? N’était-ce pas lui qui avait baptisé le fils du héros, en lui donnant pour nom et prénom ceux de son père?

Aussi, quel cri désespéré dut sortir de la gorge de la pauvre femme, quelle nuit dut se faire dans son esprit, quel déchirement dut se produire dans son cœur lorsqu’on lui annonça, — et qui eut à remplir cet affreux message ? — que Cortès était marié et que sa femme légitime, unique, allait arriver à Mexico! La noble créature ne dut pas croire d’abord à ce qu’elle entendait; elle dut courir à son amant, qui l’évita, puis au prêtre, au padre Olmedo. Que put-il lui dire, hélas ! qui ne prouvât que jusqu’alors on lui avait menti? Combien elle dut trouver méprisables, elle si confiante, ceux qui l’avaient trompée ou, ce qui revenait au même, laissée dans l’ignorance de la vérité! Quelles lettres touchantes nous lirions aujourd’hui si l’infortunée avait su écrire ! Quel récit pathétique nous posséderions si le prêtre aux pieds duquel elle se jeta écrasée par la douleur, eût noté ses plaintes, ses sanglots ! Comme on les sent brûlantes, les larmes que versa l’infortunée, et comme, en y songeant, ces larmes feraient aisément couler les nôtres, par la sympathie navrée qu’inspirent les grandes douleurs, alors surtout qu’elles sont imméritées !

Si doux, si tendre que fût au fond le caractère de doña Marina, nous savons que son âme était virile. Aussi, la première surprise, la première explosion de douleur passée, le sentiment de l’amante