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toujours si modéré, par le pourtant avec un peu de dédain. Quant aux quatre sœurs, elles possédaient une réputation de beauté méritée. Cortès, dont le cœur s’enflammait facilement, s’éprit de l’une de ces jolies personnes, nommée Catalina. Or, sans que l’on sache au juste quel degré d’intimité s’établit entre les deux jeunes gens, tout donne à croire qu’il y eut, de la part de l’amoureux, une promesse formelle de mariage. Les choses traînèrent en longueur, puis le temps, « la raison, » dit un historien peu galant, ayant refroidi et même emporté l’amour, le fiancé montra peu de hâte à tenir sa promesse. Il résista non-seulement aux instances de la famille et des amis de sa fiancée, mais aux impérieuses remontrances de son chef, don Diego Velasquez, qui, devenu à son tour amoureux de l’une des belles Espagnoles, prit très à cœur cette affaire. La résistance de Cortès lui valut l’inimitié redoutable de son protecteur, et une suite de persécutions qui faillirent compromettre son avenir et même lui coûter la vie. A la longue, cédant sans doute à des raisons d’ordre politique, le jeune capitaine se résigna enfin à épouser doña Catalina, ce qui amena sa réconciliation avec Velasquez.

Cette union, qui resta stérile, ne fut pas heureuse. Il y avait incompatibilité d’humeur, surtout d’éducation, entre les deux époux, et l’amour qui, au dire des poètes, comble les distances, était depuis longtemps envolé. On a parlé de haine et, parmi les historiens, le bon père Las Casas, seul, a cru devoir relever et adoucir le propos. « Cortès m’affirma un jour, a-t-il écrit, qu’il vivait aussi heureux avec sa femme que si elle eût été la fille d’une duchesse. » La phrase n’est-elle pas, d’une part, un peu ambiguë, et, de l’autre, ne laisse-t-elle pas, au fond, entrevoir le point douloureux en question? Comment ne pas croire à la présence du feu lorsque ceux qui ont intérêt à le cacher prennent soin de dissimuler la fumée?

Durant les longs mois qui s’écoulèrent entre le départ des Espagnols de Vera-Cruz et leur installation définitive à Mexico, ni Cortès, ni aucun de ses compagnons ne parut se souvenir de l’existence de dona Catalina, et celui qui l’eût nommée eût peut-être été mal venu. Nous le savons, l’éducation de la belle Grenadine laissait à désirer, et la vulgarité de ses façons, voire celle de son langage, blessait à la fois l’orgueil et la distinction native de l’ambitieux auquel elle était unie. Ce fut donc une grosse nouvelle pour tout le monde que celle du débarquement de doña Catalina à Vera-Cruz, nouvelle bientôt suivie de celle de sa marche vers Mexico sous l’escorte de Sandoval, le premier des lieutenans de son mari.

Quels drames intimes durent se passer alors, et quels combats durent se livrer dans l’esprit et dans le cœur de Cortès ! L’altier, l’impérieux, le dévot Castillan se trouva brusquement placé dans