Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/117

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à l’étude de l’espagnol, et cette belle langue, devenue pour elle celle de l’amour, lui fut vite familière. Aussitôt qu’elle put s’entretenir directement avec son ami, doña Marina épousa ses ambitions, ses espérances, devint son confident, souvent son conseiller, et prit sur l’indomptable caractère du héros un ascendant doux, efficace, salutaire. Elle aussi, elle eut du génie, et, avec une abnégation toute féminine, elle le mit au service de celui qu’elle aimait, dont elle adopta le Dieu, les croyances, et presque la nationalité.

L’empire pris par doña Marina sur Cortès ne fut pas seulement charnel, il eut une plus solide et plus honorable base. Le sentiment, comme il convenait entre deux esprits d’élite, eut là un rôle prépondérant. C’est qu’il faut se garder de voir dans la jeune femme, je l’ai dit déjà, une sauvagesse n’ayant d’autres séductions que ses attraits physiques, que son charme étrange et piquant; il y avait mieux que cela dans doña Marina, il y avait une âme droite, élevée. C’était, comme se plaît à le répéter Bernal Diaz, en affirmant « qu’on le voyait et le sentait, » une fille de sang noble née dans une cour princière. Or les Aztèques du XVIe siècle n’étaient nullement inférieure, au point de vue moral et intellectuel, à ces Espagnols qui, matériellement mieux armés qu’eux, se disposaient à les conquérir.

On s’y trompe souvent, et les sacrifices sanguinaires qu’ils offraient à leurs dieux ont maintes fois fait prendre le change sur le véritable degré de culture atteint à l’époque de la conquête par la civilisation mexicaine. Dans la vie ordinaire, les Aztèques étaient doux, humains, polis, raffinés même, et, dans les combats héroïques qu’ils livrèrent pour défendre leur pays, leur indépendance et leurs dieux, les cruautés gratuites ne sont pas de leur côté. Aussi, à l’occasion, leurs descendans ne se font guère faute d’opposer ironiquement à nos reproches sur la barbarie de leurs ancêtres, sacrifiant des victimes humaines, les bûchers qui, précisément à la même époque, se dressaient, en Espagne, au nom du vrai Dieu, sur les ordres de l’inquisition.

Baptisée sous le nom de Maria, puis appelée doña Marina par les Espagnols, l’héritière de Païnala, pour les Indiens qui la voyaient sans cesse près de Cortès, devint bientôt, nous l’avons dit, doña Malina. Par la suite, Cortès fut lui-même désigné sous l’étrange nom de Malintzin, — on prononce : Maline-tzine, — dont la signification est : le maître de Malina. C’est aujourd’hui encore le nom que donnent volontiers au conquérant les nations qu’il a vaincues, le seul même dont le peuple se souvienne, tant la gloire du héros castillan est étroitement liée à la mémoire de celle qu’il aima, dont il fut si tendrement aimé.

Nous n’avons pas à suivre doña Marina dans son long et important