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se préparer et conquérir. Un trait qui nous intéresse, c’est que ce catholique fervent, fanatique même, avait eu, durant son séjour à La Havane, plusieurs bruyantes aventures amoureuses.

Au résumé, Cortès, par ses qualités, par sa bonne mine, à laquelle ne nuisait en aucune façon le prestige qui s’attachait à son titre de commandant, était un cavalier accompli. Il apparut aux Indiens comme un demi-dieu, et doña Marina, elle aussi, fut éblouie, captivée. Avait-elle, avant cet instant, déjà distingué le héros et rêvé de se rapprocher de lui? Ici, nous en sommes réduits aux conjectures. Ce qui est certain, c’est que l’attention de Cortès fut vite attirée par la gracieuse interprète sur les lèvres de laquelle il suivait, curieux, charmé, les phrases qu’elle traduisait. L’aisance, l’intelligence avec lesquelles la jeune femme s’acquittait de ses fonctions improvisées émerveillèrent le capitaine. C’est que, non contente de répéter les paroles du chef aztèque, Marina les commentait, dévoilait ce qu’elles cachaient de faux ou d’astucieux, et dictait en quelque sorte les réponses qu’il convenait de faire. Or Cortès avait lui-même trop d’intelligence pour ne pas remarquer la vivacité d’esprit de la jeune femme, la justesse et la portée de ses réflexions. Il la regardait, il l’écoutait avec une attention de plus en plus intéressée, troublé par sa beauté, séduit par sa grâce. Après le départ du chef aztèque, il la retint et put, avec le secours d’Aguilar, apprendre mille particularités sur la contrée où il venait d’aborder, sur le grand empire mexicain dont il soupçonnait encore à peine l’étendue et la puissance.

Dès cette première entrevue, Marina devint indispensable au conquérant, qui, du reste, ne pouvait communiquer avec les peuples dont il était entouré que par son entremise. Elle eut une tente dressée près de celle du chef, et bientôt des serviteurs et des servantes. La beauté ayant partout et toujours, comme on disait autrefois, l’irrésistible prérogative de bien disposer les âmes et de soumettre les volontés, les lieutenans de Cortès furent vite soumis. Par son charme d’abord, par son dévoûment à leurs intérêts, puis par sa bienfaisante influence sur leur capitaine, Marina acquit vite les sympathies de ces hommes d’élite, et, en dépit de leur rudesse, sut s’attirer leur respect. Tous, dès la première heure, la nommèrent courtoisement doña Marina, et cette particule doña, dans leurs bouches accoutumées aux libres propos, fut un hommage rendu à la dignité de celle qui ne cessa jamais de la mériter. Cette qualification respectueuse, que tous les historiens espagnols ont adoptée, est certainement un titre d’honneur pour la belle Indienne.

Bientôt éprise du héros près duquel il lui fallait vivre, doña Marina lui devint également chère. Ne voulant pas d’intermédiaire entre elle et celui qu’elle aimait, la jeune femme se mit avec ardeur