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présente et future. Les Indiens répètent en vain qu’ils viennent en amis, on ne parvient pas à s’expliquer, même par signes. Tout à coup une des jeunes femmes données par le roi des Tabasqueños s’approche des bords du navire sur lequel elle est embarquée, interpelle les visiteurs, cause couramment avec eux. Elle prévient alors Aguilar que ces Indiens qui, l’année précédente, ont eu d’excellens rapports avec les navires de Grijalva, apportent des fleurs, des fruits, des ornemens d’or, et qu’ils désirent échanger ces objets contre des verroteries. Ce sont des Totonaques, gens d’humeur pacifique, de mœurs douces. Ils ont été récemment vaincus par le grand empereur aztèque Moteuczoma II, lequel réside sur le plateau des montagnes qui, comme de gros nuages, bornent l’horizon vers le couchant. Ces nouvelles sont transmises à Cortès, qui ordonne de bien accueillir les visiteurs. Le lendemain, il débarque avec ses soldats et l’on dresse sa tente sur l’aride plage où quelques jours plus tard il fondera la villa rica de Veracruz, cette cité destinée à devenir, sans qu’il s’en doute, la capitale maritime des immenses contrées qu’il va bientôt conquérir.

On apprend que la ville principale des Totonaques se nomme Cempoalla, qu’elle est située à quelques lieues de la mer, que c’est là que réside le gouverneur aztèque, représentant de Moteuczoma. Une entrevue est décidée entre ce grand dignitaire et Cortès qui, pour recevoir cet hôte dont il importe de frapper l’imagination, s’entoure de tout l’apparat qu’il croit de nature à augmenter son prestige. C’est assis sous un dais, au milieu de ses officiers en grand uniforme et paré lui-même de ses vêtemens les plus luxueux, que le capitaine espagnol reçoit le lieutenant du souverain aztèque. Les interprètes, Aguilar et doña Marina, s’avancent, un frémissement remue la grave assemblée.

Marina accomplissait alors sa dix-septième année et, fille d’un climat où la nature est précoce, elle était dans tout l’éclat de sa séduisante beauté. Ceux qui connaissent le type élégant des femmes de son pays, c’est-à-dire de la province de Goatzacoalco, se la représenteront facilement. De taille moyenne, svelte, les extrémités mignonnes, vêtue de la tunique brodée à jour dont se parent encore les habitantes de Téhuantepec, les tresses épaisses de ses longs cheveux semées de perles et de grains de corail, elle s’approche souriante, triomphante, comme une jeune reine. « comme une déesse, » a écrit le Tlaxcalien Carmago, qui put la connaître, et auquel, en tous cas, son père avait dû souvent la décrire.

L’entrevue fut longue et laborieuse. Cortès s’adressait en espagnol au diacre Aguilar, celui-ci répétait en maya les paroles de son chef, et Marina les transmettait en aztèque au représentant de Moteuczoma. Les réponses de ce gouverneur, pour arriver au chef