Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

principaux caractères physiques et moraux de sa lace, par ceux que lui donnent les traditions. Or, si l’épreuve que j’ai obtenue n’a pas la précision des modernes photographies, elle a le mérite de rendre l’exacte physionomie de l’héroïne depuis si longtemps endormie. Aussi les érudits, les curieux, voire les curieuses, me sauront-ils gré, peut-être, d’avoir rendu à l’histoire, trop souvent injuste et dédaigneuse pour ceux dont elle eût dû faire ses favoris, ne fût-ce que l’ombre de l’unique femme qui, dans le sanglant tableau de la conquête du Mexique, montre un doux sourire d’amoureuse et représente seule, elle la prétendue sauvage, les droits toujours méconnus aux heures de luttes violentes, de la justice et de l’humanité.


I.

D’après le vaillant et honnête soldat, Bernal Diaz del Castillo, un des compagnons de Cortès dans la conquête du Mexique, et aussi un des historiens de cette merveilleuse épopée, doña Marina, — il tenait ce fait de la jeune femme elle-même, — était née à Païnala, ville de la province de Goalzacoalco, vers l’année 1502 ; sur la foi de manuscrits postérieurs à celui de Bernal Diaz, lequel ne fut publié qu’en 1632, trois historiens espagnols, Gomara, Herrera, puis Torquemada, ont fait naître doña Marina à Xalisco. Il y a là une erreur évidente de copiste; la ville de Xalisco a été prise pour celle de Xicalanco, bien que plusieurs centaines de lieues séparent les deux cités.

Païnala, pittoresque village aujourd’hui perdu au milieu des forêts séculaires que traverse le beau fleuve Goatzacoalco, était, en 1502, une des limites de l’empire aztèque. Placée sous le patronage de Paynal, dont la mythologie mexicaine fait le frère et le lieutenant du dieu de la guerre, cette ville forteresse, d’où l’on surveillait trois puissans royaumes, avait une grande importance commerciale et militaire. Païnala, ainsi que tous les villages qui l’entouraient, appartenait au père de celle qui devait devenir doña Marina, lequel était un des trente grands feudataires de la couronne alors portée par Moteuczoma II. L’enfant qu’attendait une si étrange destinée naquit donc duchesse, — nous donnons ce titre comme un juste équivalent de celui de teutli, — et la servitude à laquelle elle fut réduite n’abaissa jamais les sentimens qu’elle devait à son éducation première.

Élevée dans un centre à la fois militaire et commercial, dans une ville où se donnaient rendez-vous les riches marchands de Tlatelolco, de Chiapas, de Tabasco et du Yucatan, la petite Marina vit de bonne heure autour d’elle des hommes de race, de mœurs, de langues différentes, ce qui était éminemment propre à frapper, à