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régime actuel, mais sous les régimes antérieurs, alors que les influences cléricales paraissaient toutes-puissantes[1].

Deux fois cependant, depuis les grandes luttes du milieu de ce siècle, la guerre a recommencé entre le clergé et l’université : à la fin de l’empire, pour la liberté de l’enseignement supérieur; dans ces dernières années, pour la liberté de l’enseignement primaire. Les attaques contre les doctrines universitaires ont été aussi passionnées et aussi injustes dans ces dernières campagnes que dans les précédentes : mais, comme autrefois, elles n’ont consulté que l’intérêt du moment. Dans la première campagne, on s’en est pris surtout aux doctrines des médecins, parce que la fondation de facultés libres de médecine était surtout en jeu ; dans la seconde, la philosophie s’est trouvée de nouveau l’objet du débat, mais seulement cette philosophie élémentaire qui, sous le nom d’instruction morale et civique, s’était ouvert l’entrée des écoles primaires. Ç’a été la guerre des « manuels, » et les plus inoffensives parmi ces publications ont été poursuivies des mêmes censures que les livres de M. Cousin en 1846. Toute cette agitation tomberait, comme est tombée, après la loi de 1850, l’agitation contre la philosophie des collèges, si les lois scolaires qui ont restreint ou entravé la libre concurrence entre les écoles congréganistes et les écoles laïques étaient amendées dans un esprit vraiment libéral.

L’opinion libérale au temps de M. Cousin, l’opinion démocratique à notre époque, ont mal compris les devoirs de l’état quand elles les ont invoqués contre la liberté d’enseignement. Pour ne parler que de l’enseignement philosophique, il n’a pas pour objet de substituer à la base religieuse de l’ancienne société une base rationnelle également exclusive ; il remplit, d’une manière générale, toute sa destination, au point de vue de l’intérêt social, s’il prépare les esprits à la libre discussion de toutes les questions qui intéressent la société moderne. Reconnaître que la société s’est « sécularisée, » c’est reconnaître que ses institutions, ses lois, ses mœurs ne sont régies par aucune autorité immuable et que les générations nouvelles ont sur tout sujet le droit de penser autrement que leurs devancières. L’important est qu’elles apprennent à penser.

Nous voulons, du moins, disent les autoritaires, qu’elles apprennent à penser librement, qu’elles soient soustraites à tout joug théologique; nous ne saurions admettre la liberté contre la liberté. Cette prétention même est insoutenable. L’orthodoxie religieuse est dans son rôle quand elle oppose la liberté à l’hérésie : la philosophie doit la

  1. Je rappellerai comme exemple de cette nouvelle tolérance philosophique la soutenance publique à la Sorbonne de thèses d’une grande hardiesse, sous le régime de ce qu’on nommait « l’ordre moral. »