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limiter son programme, il a provoqué déjà la défiance et l’hostilité des radicaux ; par l’attitude agressive et irritante qu’il a prise depuis quelque temps dans les affaires religieuses, il a blessé profondément les conservateurs, même les conservateurs modérés de la droite. Comment vivra-t-il ? Il fera des réformes, dit-on, des réformes qui four être modérées, n’auront pas moins de valeur. Soit, mais croît-on que cela soit si facile à un ministère toujours branlant, avec une chambre où tout est mobilité et confusion ? On l’a bien vu récemment par cette question des sous-préfets qui a précipité la dernière crise.

Supprimer les sous-préfets ou tout autre service par une suppression de dotation, c’est bientôt dit ; mais ces fonctionnaires ne sont qu’un des ressorts d’une organisation générale consacrée par des lois. Cette administration qu’on prétend bouleverser, elle a plus de quatre-vingts ans d’existence, elle est entrée dans les mœurs. Ces arrondissemens, qui ont pu être à l’origine un peu artificiels, ils sont devenus une réalité, ils se lient à des arrondissemens judiciaires, à des arrondissemens financiers. Ce n’est pas par des suppressions sommaires de crédits qu’on peut procéder ; c’est une organisation tout entière à remanier, et ces réformes, on ne les accomplit pas entre deux crises. Il faut une maturité, une expérience des affaires qui manquent aujourd’hui à une chambre ou il y a plus de passions que de lumières ; il faut aussi dans le gouvernement une autorité et un esprit de suite qui manquent à un ministère exposé à tomber sous un vote imprévu, à la première occasion.

Malheureusement il y a toujours une chose qu’on ne voit pas, c’est qu’on ne fait pas ainsi les affaires de la France. On ne les fait pas à l’intérieur, c’est trop évident, on les fait encore moins à l’extérieur, et la difficulté qu’a éprouvée le nouveau cabinet à trouver un ministre des affaires étrangères en est peut-être la preuve la plus frappante. On ne veut pas voir que le monde tout entier n’est pas au Palais-Bourbon, qu’au-delà de cette enceinte où s’agitent tant d’ambitions vaines, il y a une foule de questions plus graves où la France a des intérêts à défendre ; et que veut-on que fasse un ministre des affaires étrangères prenant un pouvoir diminué, probablement éphémère, dans des circonstances qui peuvent d’un instant à l’autre devenir critiques ? Ce n’est point, si l’on veut, qu’il y ait un danger imminent, saisissable, que les affaires qui ont occupé durant tous ces derniers mois la diplomatie européenne aient pris subitement un caractère plus menaçant. L’incident bulgare peut être un objet de négociations entre les grandes chancelleries, il ne s’est pas aggravé depuis peu, même après tous les discours qui auraient pu l’envenimer. La question égyptienne, si sérieuse qu’elle soit, si indécise qu’elle reste, n’a pas compromis jusqu’ici, que nous sachions, les rapports de la France et de l’Angleterre. Les relations générales des puissances-ne paraissent pas