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doctrine. Il a voulu en évoquer le souvenir sur un théâtre pour tous ceux qui l’avaient aimée dans le livre ; et, afin de laisser le moins possible à la fortune en cette entreprise, il a suivi les coutumes du lieu : il a réduit le roman, pour son bien, à la formule du drame classique.

Cependant y avait-il dans Renée Mauperin la substance morale d’un tel drame ? D’aucuns en ont douté. Le roman de MM. de Goncourt, selon ces critiques méfians, est un assemblage d’études sur la bourgeoisie contemporaine, parmi lesquelles paraît et reparait la monographie d’une jeune fille. C’est une galerie de portraits, où deux figures arrêtent particulièrement le regard, celles d’un frère et d’une sœur : Henri, doctrinaire épigone, marqué pour devenir un des sept cents chefs de la France parlementaire, pourvu qu’il vive ; et Renée, âme d’artiste, esprit de rapin, fleur d’un terreau bourgeois, poussée librement ainsi que le permet la récente mode pour l’éducation des jeunes filles. Renée surtout a occupé le peintre et séduit l’amateur : moderne androgyne, vive, pétulante et pétillante, la voici en je ne sais combien d’attitudes, éclairée par toutes sortes de jours. Nous la connaissons, à la un, comme une amie, cette vierge parisienne ; et quelle gracieuse, amusante et vraiment aimable amie ! Nerveuse plutôt que sanguine, elle est chaste par nature et sensible à l’excès ; elle a l’intelligence rapide, l’imagination à la fois noble et gaie ; elle est malicieuse et bonne, elle est moqueuse et ne se moque jamais que de ce qui est laid ou vil ; sa gaîté mousse à fleur d’âme, sur un fond de tristesse ; parfois téméraire en sa drôlerie, parfois aussi, à l’improviste, sa parole devient grave et poétique. Nous savons tout cela et mille choses encore, et, parce qu’ils nous ont initiés de la sorte au caractère de leur héroïne, MM. de Goncourt sont soupçonnés d’avoir fait un exercice de psychologie parmi des morceaux de philosophie sociale, plutôt qu’un roman qui contienne le germe d’un drame.

Quelques-uns donc en décident ainsi et condamnent le drame dans l’œuf, assurant que l’œuf était stérile. Ceux-là ne prennent pas garde qu’Henri et Renée ne sont pas seulement des figures qui se font pendant et des caractères en contraste, mais des âmes en conflit. Tête froide et cœur chaud, le frère et la sœur étaient prêts pour une lutte morale ; ou sait à quelle occasion la crise éclate : Henri, pour s’enrichir, veut épouser la fille de sa maîtresse ; Renée s’élève contre cette vilenie. Le combat de ces deux caractères animés de ces passions adverses, l’ambition et l’honneur, n’est-ce pas un drame ? C’est là du moins que résidait la vertu dramatique du sujet : on s’en aperçoit assez, en ce deuxième acte, alors que la sœur et le frère se trouvent en présence et commencent à s’expliquer sur ce mariage. L’attaque de Renée est franche, la riposte d’Henri est forte ; le premier élan de cette scène est superbe. Cette courte passe donne l’idée de ce que serait Renée Mauperin au théâtre, si M. Céard avait voulu