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Mais lorsque M. Chamberlain voulut parler d’un certain bill pour le rachat des terres qui faisait, disait-il, partie intégrante du projet de gouvernement de l’Irlande bien que M. Gladstone ne l’eût pas encore présenté, le premier ministre l’interrompit, ne lui reconnaissant pas le droit d’arguer d’une proposition dont les termes étaient jusqu’ici inconnus. Lord Hartington prononça, sur le ton d’une énergie concentrée et émue, un discours qui fit une grande impression sur la chambre et sur le pays. Il dit que la vie publique lui avait toujours paru comporter de rigoureux engagemens personnels, et qu’il ne pouvait s’associer à la tentative de M. Gladstone pour imposer au parlement une question qui n’avait pas été soulevée aux élections générales. Car, si le home rule avait été déclaré alors un article de foi pour le parti libéral, les électeurs auraient, sans aucun doute, rendu un verdict bien différent. Quant au bill lui-même, il ne le jugeait propre qu’à substituer des maux réels aux maux pour la plupart imaginaires dont se plaignait l’Irlande et à provoquer les plus graves conflits. Le bill fut encore attaqué par M. Goschen, puis par M. Hicks-Beach et par lord Randolph Churchill.

La défense fut assez faible. A entendre M. Morley, secrétaire pour l’Irlande, qui revenait d’une excursion de quelques semaines dans l’île, tout espoir était à jamais perdu de pouvoir gouverner avec des lois ordinaires, et comme il y avait tout à redouter du nombre et de la résolution des parnellistes, de la puissance de la ligue nationale et des forces secrètes du parti irlandais-américain, il n’y avait plus qu’à s’incliner devant les réclamations des home rulers. Sir William Harcourt se répandit en plaisanteries et en sarcasmes contre les conservateurs et déclara qu’à tout prendre, si la tentative proposée par M. Gladstone échouait, il resterait toujours la ressource de reconquérir l’Irlande. M. Gladstone dut constater avec tristesse combien son projet était froidement accueilli. Effrayé surtout de la défection de M. Chamberlain et craignant que les whigs et les radicaux ne fussent entraînés en masse hors du parti libéral, il crut devoir essayer de la conciliation. Ses propositions, dit-il, tenaient le champ, elles pouvaient avoir des contradicteurs, mais on n’osait rien proposer pour les remplacer. Néanmoins les détails n’en étaient nullement immuables ; il ne considérait aucune des clauses comme vitale et essentielle, même celle de l’exclusion des membres irlandais du parlement, qui, à sa grande surprise, avait soulevé tant d’objections, et il ne se refusait nullement à des modifications qui pourraient être reconnues nécessaires.

Mais M. Gladstone n’avait encore accompli que la moitié de sa tâche. Il lui restait à faire connaître à la chambre l’économie de-son second bill, qui avait trait au rachat des terres en Irlande, mesure indissolublement liée, dans sa pensée, au projet de home rule.