Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/910

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Originairement, le projet de M. Gladstone avait son corollaire logique dans l’abandon au parlement séparé de Dublin du contrôle sur les douanes et l’excise. M. Gladstone dut renoncer à cette disposition, car, si elle avait été maintenue, deux ou trois autres ministres auraient suivi MM. Chamberlain et Trevelyan dans leur retraite. Mais si les douanes et l’excise restaient au pouvoir du parlement impérial, que devenait, avec l’exclusion des membres irlandais de ce parlement, le principe que « taxation et représentation doivent marcher ensemble ? »

La contribution de l’Irlande aux charges impériales était fixée à 3,242,000 livres, somme que M. Parnell, bien qu’il se déclarât satisfait de tout le reste du projet, se hâta de trouver excessive. Il y avait là pour l’avenir un excellent sujet de protestation désigné au patriotisme irlandais. No tribute ! serait le cri des futures revendications. Enfin, que faisait-on des populations protestantes loyalistes de l’Ulster ? Leur sort était simplement confié à la merci du gouvernement de la ligue nationale et d’une assemblée que domineraient des archevêques catholiques comme Mgr Walsh et Mgr Croke.

La discussion du bill en première lecture donna occasion aux libéraux dissidens de s’expliquer sur la situation qui leur était faite. Le vrai dissident, dirent-ils d’abord, était M. Gladstone lui-même ; car c’était trahir les anciennes traditions du parti libéral que d’introduire dans le parlement une combinaison aussi révolutionnaire, et dont les tendances nouvelles ne devaient plus caractériser le libéralisme en général, mais seulement le libéralisme gladstonien. M. Trevelyan dit qu’il ne pouvait se résoudre à abandonner tout le mécanisme de l’application de la loi et du maintien de l’ordre à une législature dominée par une organisation qui fondait son pouvoir sur un système de terrorisme et de crimes. M. Chamberlain démontra que le bill n’offrait aucune garantie sérieuse soit pour la conservation de l’unité de l’empire, soit pour la protection de la minorité en Irlande. Ce qu’il rendait certain, au contraire, c’était le renouvellement de l’agitation à bref délai, et cette fois pour la rupture du dernier lien entre la Grande-Bretagne et l’Irlande[1]. En ce qui le concernait personnellement, le bill ne satisfaisait à aucune des conditions auxquelles il était entré dans le cabinet en février.

  1. C’est M. Trevelyan qui avait d’abord accusé M. Parnell d’avoir dit un jour qu’il ne se reposerait jamais tant qu’il n’aurait pas brisé le dernier lien entre l’Angleterre et l’Irlande. M. Parnell, se levant, s’écria indigné : « Ce n’est pas la première fois que cette calomnie est lancée contre moi. Je demande où et quand on me fait prononcer ces paroles. » — M. Trevelyan : « A Cincinnati, » — M. Parnell : « Vous n’indiquez ni la date, ni le journal où la citation est empruntée. J’ai les comptes-rendus de mes discours à Cincinnati ; aucun ne contient les paroles qu’on m’attribue. » — M. Trevelyan : « La date est le 23 février 1880 ; le journal est l’Irish World. »