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gouvernement. Les grands termes de bouleversement de la constitution, de démocratie, de socialisme, ont perdu pour eux l’aspect terrible sous lesquels ils se présentaient autrefois. Les classes les plus menacées en Angleterre par les progrès de l’esprit révolutionnaires sont résignées à l’idée de voir un jour ce que recèlent de réalité ces vocables effrayans.

Les élections eurent lieu du 24 novembre au 7 décembre, selon la coutume anglaise qui, entre certaines limites, laisse au shérif dans chaque localité le soin de fixer le jour des opérations électorales. De 3 millions sous la loi de 1867, le nombre des électeurs s’est élevé à 5 millions sous la loi de 1885. 377 membres devaient être élus par des comtés, 284 par des bourgs, 9 par des universités, en tout 670 membres, 28 de plus que dans le précédent parlement. L’Irlande comptait 102 sièges, l’Ecosse 72, au lieu de 60 auparavant. La capitale, qui n’avait droit jusqu’alors qu’à 22 membres, en élisait désormais 59. Le résultat ne fut que trop conforme aux prévisions des pessimistes. Si M. Gladstone réussit à faire passer le gros de l’armée libérale, avec son aile droite sous Hartington et son aile gauche sous Chamberlain, en tout 334 élus, le nouveau corps électoral renvoyait aussi à la chambre des communes 250 conservateurs et 86 autonomistes. M. Parnell, comme il l’avait annoncé ; était maître de la situation.

Des 102 sièges de l’Irlande, il en avait enlevé 85, c’est-à-dire la représentation complète de l’île, sauf l’angle formé au nord-est par cinq des neuf comtés de l’Ulster, citadelle des protestans loyalistes et des Orangemen, où dix-sept tories avaient été élus. En Angleterre même un siège avait été capturé par un nationaliste. Ce qui portait à quatre-vingt six membres le bataillon formidable que M. Parnell allait faire évoluer entre les deux partis. Et dans ces quatre-vingt-six, plus de désaccord, d’hésitation, plus de diversité de tendances, plus d’originalité de pensée. Tous les libéraux, tous les gladstoniens, tous les home rulers modérés avaient été chassés de l’île. La représentation irlandaise opposante ne contenait plus que des intransigeans. Les nouveaux élus étaient, à quelques exceptions près (Sexton, Healy, Pillon, O’Connor, Justin Mc Carthy, etc.) des personnages absolument inconnus, simples machines à voter sans phrases, et qui dans chaque circonscription avaient obtenu des majorités écrasantes sur les candidats présentés par la Irish loyal and patriotic Union[1]. Si les libéraux voulaient 6e passer du vote des parnellistes, ils tombaient en minorité de 2 voix devant la coalition des deux autres groupes, 334 contre 336. Il fallait donc, de l’un ou de l’autre côté, une entente avec les

  1. Par exemple, 6,763 contre 280, 4,900 contre 102, 4,900 contre 75, etc.