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mot d’ordre fut, en effet, parmi les conservateurs et dans le gouvernement, de renchérir en libéralisme sur le parti libéral. On ne devait pas reculer devant le vote des mesures les plus radicales pour gagner des adhérens parmi ces deux millions de nouveaux citoyens appelés prochainement à participer à la formation de la future chambre.

Une des premières décisions du cabinet fut de renoncer au renouvellement de la loi pour la répression des crimes en Irlande. C’était un sûr moyen de se concilier les milliers d’Irlandais établis dans les grandes villes de l’Angleterre occidentale. Trois mesures furent ensuite votées coup sur coup dont personne n’eût osé rêver l’adoption un an plus tôt : 1° un bill pour admettre à la franchise électorale les indigens ayant en recours aux soins médicaux gratuits dans un hôpital public ; 2° le purchase act en vertu duquel le trésor devait consentir aux fermiers irlandais des prêts à un taux très bas d’intérêt pour l’achat des terres qu’ils cultivaient en location[1] ; 3° un bill ayant pour objet l’amélioration des logemens des classes ouvrières. Or, le parti tory s’était opposé, en 1881, à la loi foncière de M. Gladstone (Irish land act) en déclarant que cette loi était une violation flagrante des principes fondamentaux de l’économie politique. Quelle conversion ! combien on était loin maintenant de l’orthodoxie ! Quant à la chambre des lords, elle votait tout ce que le cabinet tory lui envoyait de la chambre des communes. Elle votait, sans mot dire, des mesures qu’elle aurait repoussées avec indignation si elles avaient émané d’une administration libérale. Le fameux frein contre la démocratie n’opérait plus. Les radicaux et les parnellistes applaudissaient, ne doutant pas que, malgré de tels efforts pour éblouir les électeurs des comtés et des villes, les tories ne dussent en être pour leurs frais. Parmi les conservateurs de l’ancienne école, beaucoup étaient sérieusement effrayés des audaces de leurs chefs. Les modérés des deux partis appelaient de leurs vœux la dissolution d’un parlement qui

  1. C’est la loi dite de lord Ashbourne. Lorsque le fermier qui désire devenir possesseur de la ferme qu’il occupe est d’accord avec le landlord sur le prix à payer, ils s’adressent l’un et l’autre, à une land commission instituée pour décider si le prix ainsi arrêté répond à la valeur réelle de la propriété. Si l’enquête faite par la commission aboutit en effet à cette conclusion, le trésor paie au propriétaire le prix de vente et le fermier s’engage à rembourser la somme à l’état au moyen de quarante-neuf annuités, le taux de l’intérêt étant calculé à 4 pour 100 l’an. L’application de cette loi a déjà donné de très bons résultats. C’est là peut-être que se trouve la solution vraie et rationnelle du problème irlandais. Le parlement a voté un premier crédit de 5 millions de livres pour les avances à consentir en vertu du lord Ashbourne’s act. Il est vraisemblable que le système sera développé dans la plus large mesure possible par le gouvernement conservateur. On sait qu’un des projets favoris de lord Salisbury est la création, en Irlande et en Angleterre, d’une classe nombreuse de paysans propriétaires.