Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/874

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
868
REVUE DES DEUX MONDES.

et les abbés ont de longues conférences avec le pape ; ils se pénètrent de l’esprit de son gouvernement, s’informent de tous les usages, renseignent le pontife sur leurs affaires, reçoivent ses instructions et quelquefois aussi emmènent avec eux un Romain, qui va faire dans l’Ile une sorte d’inspection. C’est ainsi que l’abbé Benoit, venu au seuil des apôtres à la fin du VIIe siècle, repartit accompagné de maître Jean, archichantre de Saint-Pierre, qui visita les églises et enseigna le chant romain, car les prêtres anglais voulaient chanter comme on chantait à Rome. La science n’était jamais oubliée dans ces pèlerinages : évêques et abbés rapportaient, en même temps que des reliques, des manuscrits. L’attraction devint si forte que les rois mêmes y cédèrent. En 689, le roi saxon Kadwall se rend à Rome avec l’intention de finir ses jours dans un monastère. Il y meurt, et son épitaphe le loue d’avoir laissé trône, richesses, famille, florissant royaume, triomphes, dépouilles des ennemis, cour, murailles, forteresses, palais pour l’amour de Dieu, pour voir Pierre et le siège de Pierre

Ut Petrum, sedemque Pétri rex cerneret hospes…

Il est venu de l’extrémité du monde, à travers les nations diverses, à travers les terres et les mers pour contempler la ville de Romulus et porter des présens mystiques au temple vénérable de l’apôtre.

Urbem Romuleam vidit, templumque verendum
Adspexit Petri, mystica dona gerens.

Vingt ans après la mort de Kadwall, Conrad de Mercie et Otto d’Essex suivaient son exemple. Ainsi des rois estimaient que c’était une gloire suprême que d’aller mourir sous la robe monacale, là où cent ans auparavant un moine romain avait rencontré de jeunes Anglo-Saxons sur le marché aux esclaves. Un siècle avait suffi pour que la Bretagne, conquise par des prêtres, devint province pontificale romaine, comme il avait suffi d’un siècle pour que la Gaule, conquise par les légions, devint une des plus romaines des provinces impériales.

Bientôt de cette colonie papale sortirent des hommes qui portèrent en pays barbare les idées et les sentimens dont ils étaient animés. Des missionnaires anglo-saxons allèrent convertir la Germanie et continuer ainsi l’œuvre commencée par les Bretons. L’antagonisme des deux églises se retrouve encore ici : tandis que les