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se soustraire à la prétention de gouverner le monde. C’était l’accompagnement obligé de sa fonction même. Elle n’a point seulement charge d’âmes humaines ; elle a, pour ainsi dire, charge de Dieu. Il fallait bien qu’un jour ou l’autre elle s’affranchît d’un pouvoir qui ne savait point défendre la vérité. Rien n’était jamais terminé à Constantinople. Une sédition militaire, une révolution de palais pouvait, du jour au lendemain, porter au trône un hérétique. Au commencement du VIIIe siècle, Philippe Bardane rejette les décisions de concile de Constantinople et remet en honneur la doctrine de l’unique volonté. Il était évident que la papauté, tant qu’elle serait sujette de l’empire, n’aurait pas la sécurité du lendemain.


IV

Entre l’empire et la papauté, le conflit était inévitable : de graves circonstances historiques en ont marqué la date.

Pendant tout le cours du VIIe siècle, l’état byzantin est en décroissance. Les Arabes lui ont enlevé la Syrie et l’Égypte presque sans coup férir. En même temps qu’ils avançaient en Arménie, où la résistance fut plus longue, ils s’étendaient sur la côte africaine, et, maîtres de Tripoli, envoyaient dans les mers grecques des corsaires qui s’y rencontraient avec les flottilles parties des ports de la Phénicie. Chypre, la Crète et Rhodes étaient prises, et, vingt ans après la mort de Mahomet, Constantinople menacée. Au même temps, de grands mouvemens se produisaient parmi les barbares du nord : Bulgares et Slaves s’étendaient dans la Péninsule. L’empereur, impuissant à les exterminer, s’ingéniait à chercher une façon de vivre avec eux, comme avaient fait avec les Germains les derniers Césars de l’Occident. En Italie, enfin, les Lombards précipitaient leurs progrès. L’empire eut un moment de répit lorsqu’éclata en 656, à la mort du khalife Othman, la première guerre civile qui ait affaibli l’islamisme, mais, cinq ans plus tard, commence la dynastie des Ommiades. Un immense effort est dirigé contre Constantinople. Pendant huit années, de 672 à 678, elle est assiégée. Cyzique et la Crète, fortement occupées par les infidèles, sont leurs bases d’opération dans l’Égée et la Propontide. La grande ville, héroïquement défendue, résiste à toutes les attaques par terre et par mer, mois les Bulgares ont passé le Danube ; il faut traiter avec eux, traiter avec les Serbes et les Croates. Après le Danube, les Balkans sont franchis ! Le khan des Bulgares organise pour la vie sédentaire son peuple, qui commence à prendre la langue et les mœurs des Slaves. On dirait qu’en défendant la péninsule contre les Arabes, l’empire