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ÉTUDES SUR L’HISTOIRE D’ALLEMAGNE.

frivole » puisse engendrer une telle discorde. « Il y a des frivolités inoffensives, réplique Grégoire, il y en a de dangereuses. Quand viendra l’Antéchrist et qu’il dira : « Je suis Dieu, » ce sera une frivolité ; ne sera-t-elle pas dangereuse ? » Et la question lui parait si grave qu’il compare l’orgueil de Jean le Jeûneur à celui des mauvais anges qui se sont révoltés à l’origine des temps. Ainsi l’évêque de la vieille Rome était engagé dans une lutte sans fin avec l’évêque de la Rome nouvelle ; il était exposé à voir méconnaître son autorité suprême et cette dignité de saint Pierre, qui était toute sa raison d’être ; mais ce n’était là que le moindre des dangers qui lui vint de l’Orient : la foi elle-même était perpétuellement en discussion dans l’empire avec la complicité de l’empereur.


III

Le concile de Nicée en l’année 325 avait condamné l’arianisme, mais ne l’avait pas détruit. L’hérésie persista sous des formes adoucies. Nombre de théologiens illustres et de chrétiens sincères se refusèrent à confesser l’absolue égalité du Père et du Fils, et à croire que le Christ fût « Dieu né de Dieu, lumière née de lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu, engendré, non créé, consubstantiel au Père. » À l’identité de substance, inscrite dans le symbole, les uns substituaient la similitude de substance ; d’autres se réfugiaient dans l’équivoque des formules et disaient seulement que le Fils était semblable au Père. Après vingt conciles contradictoires, beaucoup de persécutions et de violences, le dogme de Nicée fut confirmé à Constantinople en 381, et la pleine divinité du Verbe reconnue ; mais l’esprit d’examen se prit tout de suite à un autre problème : Quelles sont, dans la personne du Christ, les relations du Verbe divin avec la nature humaine ? Nestor, patriarche de Constantinople, enseigna que le Verbe n’a fait qu’habiter dans le Christ et que les deux natures sont demeurées distinctes. Eutychès, archimandrite à Constantinople, confondit les deux natures, mais absorba l’humaine dans la divine au point de faire disparaître la première. D’autres admettaient l’union et la coexistence des deux natures, mais voulaient qu’elles n’eussent qu’une seule volonté. La dispute dura plus de trois siècles et bouleversa l’état et l’église. Les empereurs et les impératrices y prennent parti. Quelques princes plus sages rédigent des formules conciliatrices, ou bien, en désespoir de cause, défendent sous les peines les plus sévères de prononcer les termes sujets à controverse, mais les formules d’union attisent la discorde et l’ordre de se taire excite toutes les langues. Les églises