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« Une situation régulière, disait M. John Lemoine, fait bien plus d’horreur à la papauté qu’une situation révolutionnaire, car de la révolution elle peut toujours appeler, tandis qu’un traité serait la consécration des faits accomplis. »

L’œuvre que nous poursuivions n’était pas viable, nous n’avions aucune combinaison arrêtée, aucun programme à présenter. Notre intention était de laisser aux cabinets une pleine liberté d’appréciation et d’associer leur responsabilité à la nôtre[1]; c’est ce dont aucun gouvernement, sauf l’Espagne, ne se souciait. « La France, disaient les journaux étrangers, veut faire endosser à l’Europe les fautes qu’elle a commises ; l’empereur n’a convoqué une conférence que pour trouver des complices disposés à porter une dernière atteinte à l’autorité temporelle; les gouvernemens se garderont bien de se laisser prendre au piège. »

On demandait quelle solution poursuivait l’empereur, de quels droits, de quels principes il prenait la défense, comment, en un mot, il entendait régler le sort du saint-siège. « Pourquoi demander au gouvernement ce qu’il fera? disait au sénat l’archevêque de Paris ; il ne le sait peut-être pas lui-même. » — Ce mot, échappé dans le feu de l’improvisation, sonnait comme une épigramme. Il n’avait certes pas le sens que lui prêtait l’opposition, car l’archevêque n’était pas l’adversaire des Tuileries, mais il répondait aux sentimens de l’assemblée, qui ne croyait pas que le gouvernement eût un plan arrêté. « Le défaut du gouvernement, disait M. Emile Ollivier, ce n’est pas de n’avoir pas de politique, c’est d’en avoir plusieurs; sur chaque question il y a au moins deux portes pratiquées, qu’on n’ouvre jamais tout à fait, mais qu’on entr’ouvre discrètement de temps à autre. Dans la question du pouvoir temporel on dit deux choses. On dit à l’Italie : « Nous ne laisserons pas prendre Rome ; » mais en même temps on discrédite le pouvoir temporel, on le déclare à la fois indispensable et détestable. On dit : « Souffrez-le, mais méprisez-le, parce qu’il est basé sur des maximes contraires aux nôtres, sur la politique de l’ancien régime. C’est la confusion aboutissant à l’impuissance. »

M. de Moustier protestait contre le reproche d’inconséquence, il n’admettait pas que l’unité italienne fût liée à la possession de Rome ; il soutenait qu’elle n’était pas incompatible avec l’existence d’une enclave indépendante et qu’il serait difficile de concevoir comment la papauté, même au point de vue spirituel, pourrait vivre à côté de l’appareil d’un grand gouvernement et au milieu des

  1. Circulaire du marquis de Moustier, 9 novembre 1867. — « C’est dans l’étude calme et attentive des faits que le congrès, inaccessible par sa nature aux considérations secondaires, trouvera les bases d’un travail dont nous ne devons pas, en ce moment, essayer de poser les limites ou de préjuger les résultats. »