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quelques-uns se sont déjà produits, guerres des nations entre elles, tremblemens de terre, pestes, famines : il les note avec joie ; mais il faut aussi que des marques apparaissent dans le soleil, la lune et les étoiles : « Nous ne les voyons pas encore clairement, dit-il ; mais la preuve qu’elles ne sont pas loin, c’est le changement qui se produit dans l’atmosphère ; » il faut enfin que la mer et les fleuves soient confondus : cela viendra, car « beaucoup des choses annoncées étant accomplies, il n’y a pas doute que le peu qui reste suivra. » Un jour, il interrompt son commentaire sur Ézéchiel, à la nouvelle d’une attaque des Lombards, et il écrit une homélie qui est une véritable oraison funèbre : « Où est le peuple ? Où est le sénat ? Les os sont desséchés, les chairs sont consumées, tout le faste des dignités du siècle est éteint. Le sénat n’est plus, le peuple a péri ! » Hélas ! il se trompait ! En lui vivaient ce peuple et ce sénat, qui, après avoir investi l’empereur de la majesté romaine, adoraient cette majesté même chez les indignes et s’inclinaient devant le premier monstre venu qu’une sédition militaire portait au trône. Grégoire, né sujet, demeure sujet. Il ne peut se passer d’un maître ni s’empêcher d’être un courtisan : six siècles de servitude pèsent sur lui.

À tout propos, l’empereur fait acte de souverain à Rome. Un pape nouvellement élu doit envoyer des messagers à Constantinople pour faire part au prince de son élection. L’ordination « ne peut être célébrée qu’au su de l’empereur et par son ordre. » Le pape paya même un certain tribut jusqu’au jour où le βασιλεὺς en eut fait gracieusement remise à l’église romaine. Les ordres qui viennent de la « ville royale » sont appelés « divins » par les papes, qui les sollicitent humblement en toute circonstance. Pour toucher aux monumens anciens, par exemple, il faut la permission impériale. Phocas autorise Grégoire le Grand à transformer le Panthéon en une église ; un autre empereur permet à Honorius d’enlever les tuiles dorées qui recouvraient le temple de Rome. Le successeur d’Auguste est le propriétaire du passé, les ruines sont à lui. Il lui est toujours loisible de venir s’établir à Rome, où personne ne prétend tenir sa place. Constantin II, qui régnait dans la seconde moitié du VIIe siècle, voulut quitter Constantinople, où il n’était pas aimé, et qui, plusieurs fois tâtée par les Arabes, était exposée aux plus grands périls. Il se mit en route, passa par Athènes, par Tarente, faisant une sorte de revue de fantômes. Quand il approcha de Rome, le pape, avec tout le clergé, alla au-devant de lui jusqu’à six milles. Il lui fit les honneurs du sanctuaire de Pierre et du palais de Latran, lui chanta la messe et lui fit servir à dîner dans une basilique. Douze jours passèrent ainsi. Constantin s’aperçut vite que Rome n’était plus une capitale d’empire, et il partit ; mais il