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ÉTUDES SUR L’HISTOIRE D’ALLEMAGNE.

très simples, il avait posé un problème qui préoccupe aujourd’hui encore les hommes d’état, grands et petits, et que ces derniers seuls trouvent facile. Au reste, l’église fut préservée contre l’asservissement total par l’existence même d’un clergé. Certes la constitution d’un ordre ecclésiastique supérieur au commun des fidèles a eu des effets redoutables : l’ordre est devenu bientôt une caste, qui a supprimé la liberté de l’amour divin et confisqué la propriété des promesses éternelles, pour en tirer des honneurs et des rentes, qui n’étaient pas prévus par l’évangile ; mais la milice des prêtres sut garder du moins le tabernacle, où l’empereur n’entra jamais. Païen, César sacrifiait aux dieux ; il était même le grand sacrificateur de la cité. Chrétien, il est tenu à l’écart du culte : il ne peut recevoir tous les sacremens et il n’en confère aucun. L’imposition des mains, qui fait le prêtre, n’est point pour lui ; il ne porte pas la tonsure, cette « couronne sacerdotale ; » il n’est pas habillé de vêtemens liturgiques. Ce n’est pas lui qui est debout à l’autel, lorsque s’accomplit le plus grand des mystères : l’étrange et immense pouvoir du prêtre chrétien est hors de la portée du maître du monde. Si la dignité impériale vient de Dieu, la personne de l’empereur est profane ; il siège parmi les évêques et les préside, mais il se nomme lui-même un « évêque du dehors ; » il a « le droit autour des choses sacrées, Jus circa sacra ; » il n’acquerra jamais complètement « le droit sur les choses sacrées. » Le clergé chrétien est une nouvelle tribu de Lévi, l’autel une arche sainte, l’empereur un roi d’Israël ; or un roi d’Israël pouvait bien approcher de l’arche sainte et danser devant elle, mais non point la toucher, fût-ce pour la soutenir dans les cahots de la route, car l’arche savait se conduire et elle revint un jour toute seule du pays ennemi en Israël. Alors même que le clergé convie l’empereur aux discussions dogmatiques et provoque sa décision, il se considère comme le dépositaire de la vérité divine, et toujours il s’est rencontré des évêques qui ont protesté contre les sentences rendues par un César hérétique, en lui rappelant « qu’il n’avait pas d’ordre à donner dans les choses de la foi. » Ainsi le clergé maintint la distinction des deux pouvoirs ; il sauva le for intérieur, mais il demeura pris et engrené dans la machine impériale. Pour marquer avec exactitude la situation des choses aux ive et Ve siècles, il faut dire que, si l’empereur n’est pas homme d’église, l’évêque chrétien est personnage d’empire.

Telle fut jusqu’à la fin du VIIIe siècle la condition de l’évêque de Rome. Il est en relations continuelles avec les empereurs qui règnent en Occident et avec ceux qui gouvernent l’Orient. Avec les premiers s’établit une grande intimité au temps de Valentinien III et de Léon le Grand. Prince et pape semblent être deux collègues,