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lègue des commissaires pour l’y représenter. De même qu’il fait publier les lois civiles par les préfets du prétoire, qui les transmettent à leurs subordonnés, de même il adresse les lois ecclésiastiques « aux très saints patriarches ; » ceux-ci les font connaître « aux très religieux métropolitains, » et les métropolitains aux « pieux évêques ; » les évêques les « annoncent dans leur église, afin que personne ne les ignore dans notre empire. » L’empereur a prétendu davantage : faire la loi elle-même. Un jour, Constance, parlant à un concile auquel il imposa un formulaire de foi, prononça cette parole : « Ce que je veux est canon. » C’est la paraphrase du principe fameux : « Tout ce qui plaît au prince est loi, » et la revendication par César de sa qualité imprescriptible de lex viva. Tout le conviait à demeurer ce qu’il avait été avant la conversion de Constantin, c’est-à-dire le maître. Même après qu’il eut déposé sa divinité et abdiqué son titre de souverain pontife, l’immensité de son pouvoir le portait au-dessus de l’humanité. Les chrétiens estimaient d’ailleurs que toute puissance vient de Dieu ; ils disaient que le Christ avait reconnu le droit de l’empire en daignant être compté dans le recensement ordonné par l’empereur, et en commandant de donner à César ce qui lui appartient. Et comment l’église aurait-elle pu récuser une autorité à laquelle elle recourait sans cesse ? Elle était dans la joie de la victoire, recevait des dons, enregistrait des privilèges. Sous sa dictée, Théodose plaisante les dieux, et prend contre eux la défense des animaux, qu’il appelle « d’innocentes victimes. » Il proscrit les rites du culte domestique, éteint le feu sacré du foyer, exproprie les dieux lares, ces vieux maîtres de la maison. L’église prêche, déclame et raille dans les lois. Après qu’elle a consommé sa victoire sur le paganisme, c’est à l’empereur encore qu’elle demande de mettre les hérétiques à la raison. Une loi de Théodose, dirigée contre les ariens, dispose « que tous les peuples régis par sa clémence croiront en une seule divinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit, unis en une égale majesté sous une trinité sainte. » Le princeps de qui l’on implore et qui rend de pareils services ne s’est pas donné la peine de plier l’église sous le joug : elle s’y est placée.

Cependant l’absolue confusion du temporel et du spirituel n’était plus possible. L’église avait eu beau adopter par nécessité autant que par ambition les cadres et les mœurs de l’empire, se laisser transformer en une hiérarchie officielle, s’habiller de romanisme et si rapidement vieillir que, cinquante années après Constantin, les écrivains chrétiens se lamentent sur sa décrépitude : la religion du Christ avait apporté des nouveautés qui devaient durer. Le divin maître avait signifié à l’ancien monde sa fin, le jour où il avait fait la distinction entre Dieu et César ; par ces quelques mots en apparence