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des garanties, à jeter les bases d’une inviolable entente. Mais le marquis de Moustier, qui à son entrée au ministère, avait su par son habileté et son sang-froid de jouer les calculs de M. de Bismarck et lui faire subir une défaite, s’était laissé déborder par les affaires au lieu de les dominer. Tiraillé en tous sens par des exigences contradictoires, il avait perdu la claire perception des événemens. Cet esprit si distingué, qui, par l’ampleur de ses informations et la netteté de ses vues, lorsqu’il représentait la France à Berlin, avait plus qu’aucun de nos diplomates contribué aux succès de notre politique, aux débuts de l’empire, en était arrivé à Paris, comme tant de ministres, à réduire la sagesse gouvernementale aux expédiens de chaque jour. Il se préoccupait plus du sort présent de la papauté que de son avenir. Il humiliait la diplomatie italienne au lieu de profiter de sa détresse pour l’amener à de solides transactions. Les vues de M. de Moustier étaient larges, son esprit était pénétré des idées modernes ; son optique, malheureusement, s’était rétrécie peu à peu au pouvoir; sa santé s’était altérée dans un milieu fiévreux, énervant. Il eût laissé l’empreinte d’un ministre de grande envergure si, après avoir sauvé la France de l’invasion, lors de l’affaire du Luxembourg, par une savante évolution diplomatique faite sous le coup du danger, il avait su, par d’habiles et rapides négociations, conserver Rome au pape et assurer à la France l’alliance de l’Italie.

Au lendemain de Mentana, l’occasion s’offrait à nous une dernière fois pour résoudre le problème romain. La rapidité de notre intervention avait frappé l’Europe et relevé notre prestige. Nous étions les maîtres de la péninsule. L’Italie, déçue dans ses calculs, abandonnée par la Prusse, terrifiée par l’effet foudroyant de nos chassepots, était livrée à l’anarchie, Garibaldi et Mazzini menaçaient la couronne. Nous venions, après d’injustifiables faiblesses, de lui apprendre à compter avec nous, elle subissait une dure leçon ; il ne fallait retirer le fer de sa blessure que la question romaine réglée. Le pape, de son côté, nous devait son salut; ses destinées étaient entre nos mains. C’était le moment ou jamais d’en finir avec une question qui agitait les consciences et paralysait notre politique, mais il importait de se hâter et de ne laisser ni au cabinet de Florence, ni à la cour de Rome le temps de se remettre de leurs alarmes et de subir de fâcheux conseils. Sans perdre une minute, le gouvernement de l’empereur aurait dû arrêter un programme et l’imposer d’autorité. La France avait le droit de tenir un langage résolu dans les salles du Vatican aussi bien qu’au Palazzo-Vecchio. N’était-elle pas accourue au secours de Rome au risque de compromettre ses propres destinées? n’était-elle pas l’appui le plus sûr, le plus dévoué de la papauté, et le sort du saint-siège