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Ajoutons que ces lois juives sur l’usure ont rendu au monde un mauvais service ; car le christianisme les ayant adoptées, et le christianisme étant devenu d’abord une partie des plus considérables, puis la totalité de l’humanité progressive, le monde a subi, pendant des siècles, une loi très mauvaise, l’interdiction absolue du prêt à intérêt, qui a prolongé considérablement le moyen âge et retardé de mille ans la civilisation.

Sans aboutir à un ouvrage aussi nettement dessiné que le Deutéronome, un nouveau code, par le fait, naissait en Israël. Beaucoup de tâtonnemens se produisaient. La refonte de la loi devenait la perpétuelle occupation des esprits actifs, surtout dans le milieu dont Ézéchiel était le centre. Vouloir retrouver en détail les retouches, les repentirs, les caprices du kalam de ces scribes sacrés, ce serait poursuivre l’impossible. La critique méconnaît son rôle quand elle veut porter dans ces questions une trop grande précision de détail. La bibliographie d’un temps où chaque livre n’avait qu’un seul exemplaire ne saurait répondre aux mêmes questions que celle de nos jours. Quoi de plus singulier, par exemple, que ce petit code, complet à sa manière, qui se trouve encastré dans le Lévitique actuel, du chapitre XVIII au chapitre XXVI ? Ces chapitres forment un livre ayant son unité et présentant les mêmes expressions caractéristiques d’un bout à l’autre ; or ces expressions sont justement celles qu’affectionne Ézéchiel, et on ne les retrouve presque point ailleurs. On est donc amené à supposer que le petit livre contenu dans les chapitres XVIII-XXVI du Lévitique n’est qu’un remaniement postérieur du morceau d’Ézéchiel contenu dans les chapitres XL-XLVIII. On a pu penser que c’est Ézéchiel lui-même qui composa cette espèce de mise au net, avec quelques modifications, de sa méditation primitive, en l’enrichissant d’emprunts faits à des écrits plus anciens[1]. Il vaut mieux croire que l’opuscule en question fut composé d’après les écrits d’Ézéchiel par un de ses disciples[2]. L’institution du grand-prêtre, l’origine aharonide du sacerdoce, le tabernacle, les villes lévitiques, y sont mentionnés. L’écrit se donne pour un résumé complet des lois révélées par Iahvé à Moïse sur le Sinaï. Ce fut un nouveau Deutéronome approprié au temps et supposant que le code de Josias n’était pas fort lu. Les menaces finales (ch. XXVI) prouvent que ces petites Lois, créées à neuf et formant des ensembles, étaient en quelque sorte un genre de littérature assujetti à des règles et ayant ses parties fixes.

  1. C’était l’opinion de Graf, de Kayser.
  2. C’est l’opinion de MM. Heuss, Horst, Wellhausen.