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encensoirs. Le feu du ciel dévora Qorah et sa bande, ainsi que leurs encensoirs[1].

Ézéchiel, pas plus que Jérémie, le deutéronomiste et les anciens prophètes, ne parlent jamais d’Aaron comme souche du vrai sacerdoce. Les vieilles histoires connaissaient Aaron, mais simplement comme frère et prophète de Moïse. L’idée d’Aaron grand-prêtre est, au contraire, l’idée dominante du dernier code sacerdotal. Les prêtres y sont tous fils d’Aaron ; Aaron est à leur tête comme un président naturel. Le rôle presbytéral d’Aaron et l’idée de grand-prêtre naquirent ainsi en même temps. Les temps anciens, même ceux d’Ézéchias, ne connaissaient pas le grand-prêtre[2]. Le commencement de cette fonction apparaît sous Josias ; l’armée de prêtres groupée autour du temple devait avoir un chef. En 575, cependant, Ézéchiel, comme nous l’avons vu, évite de faire entrer dans son programme un prêtre supérieur aux autres. Il est très possible que, dans ses méditations ultérieures, il soit arrivé à en voir la nécessité, ou que ses disciples y aient été amenés ! Quoi qu’il en soit, le mythe d’Aaron et la constitution officielle d’un cohen en chef étaient deux idées tout à fait voisines et à deux pas de celles d’Ézéchiel. Nous sommes persuadés qu’elles suivirent de très près le programme de 575. Le signe de la prééminence par désignation était l’onction. Le grand-prêtre fut conçu comme oint, installé solennellement, vêtu d’habits d’apparat, obligé à un grand décorum, à ce point qu’il ne pourrait porter le deuil, même de son père et de sa mère.

Une idée plus analogue encore à celles d’Ézéchiel fut l’invention de l’ohel moëd, ou tabernacle, sorte de temple portatif que Moïse était censé avoir fabriqué dans le désert, qu’on repliait en quelque sorte et qu’on réassemblait à chaque campement. C’est là, vraiment, une imagination puérile, et, sur ce point, les plaisanteries de Voltaire étaient pleinement justifiées. Rien ne ressemble plus à ces visions liturgiques d’Ézéchiel, caractérisées par l’invraisemblance et le mépris absolu de la réalité. D’un autre côté, la conception d’une telle fable avait quelque chose de très logique. L’unité du lieu de culte était devenue, depuis Josias, le dogme fondamental d’Israël. On voulait que ce dogme remontât à Moïse. Par une faute de critique qui alors ne soulevait aucune objection, on reportait facilement un tel état de choses jusqu’à la construction du temple sous Salomon. Avant le temple, il était plus difficile d’imaginer un

  1. Nombres, XVI, où l’on voit clairement l’enchevêtrement du vieux récit jéboviste sur Datan et Abiram et de la légende moderne hostile aux Qorachites.
  2. L’histoire de Joas, pleine d’invraisemblance, a été retouchée après la captivité dans un esprit sacerdotal. Les Chroniques l’ont tout à fait lévitisée.